BLOG D'ANAÏS par Gérard CABANE

BLOG D'ANAÏS par Gérard CABANE

137 - L'ÂGE D'OR

D'abord il y avait Christian, François, Didier, petit Paul qui était plus grand que moi, il y avait Jacky, Philippe enfin quoi une bande de copains avec qui je faisais mes premières armes. Nous avions sept ans, nous avions dix ans, nous avions des yeux immenses et la rigolade aussi bruyante qu'une rivière du Ventoux. Nous n'avions pas peur sauf peut-être - mais nous étions plus jeunes encore - que le Père Noël loupe notre cheminée.

Nous nous attendions pour partir à l'école et nous nous attendions encore pour revenir chez nous. Bien sûr nous tirions les sonnettes, nous faisions des paris sur l'absence du Maître, nous bombions le torse devant les filles aux jambes grêles, nous courions pour courir, pour sentir le vent, pour sentir un peu plus la vie qui était bien belle et les billes dans mes poches faisaient un tel boucan d'enfer qu'on aurait pu croire que c'était la transhumance.

Nous avions des pantalons courts et les cheveux en brosse, tous étaient bien bruns et j'étais le seul blondinet dans cette troupe de gamins. Le seul blondinet ? Oui, mais comme j'étais le plus cancre de cette bande de vauriens, c'était moi qui donnais les idées.

Et comme bien souvent elles étaient farfelues, on a pris de sacrées torgnoles assorties de punitions, de piquets au coin et de bonnet d'âne sous les rires des copains.

Nous parlions de nos familles et je les enviais un peu car, mon frangin n'étant pas encore né, je me sentais comme un couillon en rentrant à la maison.

Alors je lisais, affamé de mots et d'histoires, j'expédiais mes devoirs et retrouvais Cochise, Daudet, les Pieds Nickelés mais aussi Le Bossu avec Lagardère et Sans famille avec Vitalis. Des lectures mélangées, certaines lues trop tôt et relues et relues encore plus tard, sans oublier Roudoudou et Riquiqui qui, pour le coup, me ramenaient au gros bébé que j'étais.

Tout était dans mes livres, sentant bien que je grandissais trop vite, mais toujours, toujours retenu par cette enfance dont je ne remercierai jamais assez mes parents de l'avoir rendue si belle.

 

Et puis après se sont ajoutés Francis, Dominique, Soupette, Roland et quelques autres encore, nous étions adolescents, nous avions seize, dix-sept, dix-neuf ans et nous étions pencus dans un lycée de filles, loin, bien loin de chez nous. Mes lectures alors devenaient essentielles, comme le théâtre, comme les femmes et pas forcément dans le bon ordre. J'étais "révolté", j'étais toujours cancre et j'avais faim de tout. Nous jouions de la guitare, nous aimions "On the road again" et nous fumions planqués dans les chiottes ou les dortoirs en bouffant du saucisson et des kilos de pain rassis. Je découvrais Camus, je découvrais Vian mais aussi ces formidables auteurs américains ou russes et quand 68 est arrivé, c'est naturellement que je me suis trouvé devant. Ce fut, là encore, un moment charnière où certains collectionnaient les boutons sur la gueule quand moi je comptais les jupons. Ce fut des escapades, des discussions sans fin autour de mazagrans fumants, ce furent des espoirs mais aussi un vrai regret. Ce fut une cathédrale et des cahiers et des cahiers de mots qu'inlassablement je notais alors que le bac se profilait et que je m'en foutais, ne pensant qu'à écrire.

Moments majeurs, moments d'amitiés fortes et d'étonnements, subjugués devant la finesse et l'intellect des femmes qui allaient me construire une âme de chercheur.

Souvenirs de gares la nuit, de routes désertes le pouce levé et d'un monde qui foutait le camp dans des odeurs de pot-au-feu au son des Beatles ou des Rolling Stones.

La vie étalait devant moi un ruban dont je ne voyais pas la fin même si, ayant lu Hemingway, je savais que j'allais commencer à mourir.

 

En effet, c'est dans l'enfance et l'adolescence que tout se joue et que tout se décide.

C'est avant vingt ans que le destin se force et si, par laxisme ou par je-m'en-foutisme mais aussi par confort on ne le provoque pas, le reste du chemin devient une lente, très lente descente aux enfers toute sartrienne.

Alors certains, en réalité beaucoup, oublient le gosse qu'ils ont été.

Moi j'ai toujours mes Roudoudou, mes Riquiqui et ma pièce est parsemée d'objets et de livres que j'ai sauvés de ce néant du temps qui passe.

J'ai écrit un jour une note sur la "fidélité". La plupart n'y ont vu que celle qui concerne le couple puisque c'est ainsi et souvent qu'on la présente.

Pourtant, la seule, la vraie, l'unique fidélité n'est-elle pas celle de tenter de correspondre à la femme ou à l'homme que l'enfant a rêvé d'être ?

N'est-elle pas celle de persister - quitte à passer pour un illuminé - à vouloir vivre dans un monde où tout est possible, où tout peut arriver ?

Comme quand on était gosse.

Comme quand nous étions fous.



04/10/2017
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