BLOG D'ANAÏS par Gérard CABANE

BLOG D'ANAÏS par Gérard CABANE

143 - LES VIEUX

Ils sont recroquevillés, ils chuchotent, ils s'engueulent, ils se cherchent, ils se manquent mais ils s'aiment encore, encore plus peut-être.

Ils sont déconnectés, ils ne s'apprennent plus, ils ne se touchent plus mais leurs regards, leurs sourires et leurs éclats de rire quand l'un fait un mot complet au scrabble résonnent dans la petite maison !

Ils ont la trouille aussi, la trouille des enfants qui ne les comprennent plus, qui veulent les secouer, eux qui se sont "bougés" toute leur vie, la trouille que l'un parte, comme ça, une nuit, un matin, enfin quoi, pendant une absence de l'autre. Alors ils se surveillent, ils s'épient, ils s'inquiètent et préparent, l'un pour l'autre, les pilules qui les maintiennent en vie.

Parfois ils marchent ensemble, elle s'appuyant sur lui qui chancèle et lui se redressant, solidifiant son âme mieux que ses os qui craquent à n'en plus finir. Ils se sont "habillés", ils se sont pomponnés, ils ont mis du "sent bon" et respirent encore et encore cet air qui, quand ils étaient jeunes, les rendait fou d'amour.

Alors ils trouvent des excuses, un journal à acheter, un médicament qui manque, pour rester un peu plus dans ce monde qu'ils ne comprennent plus.

Les vieux sont comme du bois sec qui se consume, du chêne noueux qui résiste tant qu'il peut aux assauts des jours qui s'avancent et avec eux, la mort en point de mire comme dernier legs.

Ils se savent fragiles, ils se savent en sursis et chaque seconde qui passe, chaque petit moment est une goutte de plus dans l'escarcelle des souvenirs.

Ils ont la télévision bien sûr, lui aimant les débats, elle les voyages au long cours. Jusqu'au bout, jusqu'à l'usure n'est-ce pas, la femme rêve quand l'homme est dans le quotidien.

 

Et le soir chacun part dans son lit en laissant la porte ouverte.

 

Ils adorent leurs enfants, mais plus encore les petits des enfants qui les font souffrir en laissant tout par terre, mais, ils sourient au ciel, faisant répéter sans cesse les mots qu'ils n'entendent plus. Ce sont des dessins qui s'affichent dans la cuisine ou bien dans la salle à manger qui ne sert presque jamais. Et quand elle fait la cuisine, quand elle "reçoit" sa tribu, chacun opine de la tête en disant que c'est bon tout en salant encore, encore et encore pour donner un peu plus de goût à ce qui n'en a plus guère.

Ils aiment comme avant, c'est à dire qu'ils s'aiment et tout est dit.

Lui évidemment ronchonne toujours devant sa maladresse quand elle lui rappelle qu'il ne savait même pas planter un clou et lui la caresse de ses mains aux tâches brunes quand elle s'est mis un peu trop de rouge aux joues devant la lumière chiche d'un lavabo aux robinets suintants.

Ils en ont  fêté des noces à n'en plus finir, argent, or tout y passe devant le photographe mais le soir, dinant d' une assiette de soupe de pâtes dans un bouillon de pot-au-feu ils retrouvent ce qu'ils ont toujours connu, l'immuabilité des choses dans des aspirations de bouches qui ne s'embrassent plus.

Ils se bousculent, ils se maintiennent, ils se conspuent, ils s'épient et les regards qu'ils posent l'un sur l'autre deviennent des radars du quotidien, guettant la faiblesse, l'indisposition ou le malaise. Ce sont les chambranles d'une porte qui se referme de plus en plus difficilement et, dans les entrebâillements qui s'élargissent, ils craignent plus que tout ce jour où, quand un seul des deux la franchira, l'autre se retrouvera immobile et désemparé.

 

Alors ils se créent des moments de bonheur, de ces petits riens qui poussent à croire à l'éternité de choses, un verre de  guignolet le soir, ou un petit Kir, des escarbilles de sucré, une chanson à la radio, des photos pas bien jeunes ou la venue d'un "copain" qui tient encore la rampe, le rappel de souvenirs, de jours un peu plus brillants et, dans le rapprochement de leurs âmes on aurait juré qu'ils sont devenus frère et sœur.

Mais une main un peu trop marquée qui se tend vers l'autre, un regard du bleu de la jeunesse, une caresse des yeux ou juste une main sur l'épaule traduisent la puissance de cet amour qui ne les a jamais quittés.

Et quand ils vont à l'église, quand ils restent assis alors que d'autres s'agenouillent, quand ils lèvent les yeux vers le même vitrail traversé de lumières d'étoiles ils savent que l'amour se fortifie d'autant plus que l'autre s'affaiblit.

 

Et là-bas, au bout de la ville, derrière des murs érodés parcourus d'herbes folles, là-bas, pas très loin de la nouvelle rocade qui fait un boucan d'enfer, se dressent les cyprès du vieux cimetière aux croix rouillées et noires.

Mais eux, comme un pied de nez à l'histoire prévue des hommes, se feront incinérer, l'un attendant l'autre.

Les deux urnes réunies iront nourrir un peu plus ce mimosa qu'ils aimaient tant et qui fleurit toujours si ardemment pendant les jours de glace.

Comme une renaissance.

 



27/11/2017
15 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au site

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 49 autres membres