BLOG D'ANAÏS par Gérard CABANE

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194 - LE PAYS DE COCAGNE

C'est un moutonnement  de collines qui  glissent les unes sur les autres, une symphonie d'herbages, de bosquets, de haies, de petites routes sinueuses qui ahanent sous un soleil de printemps. Ce sont des vagues entières, douces et ondulantes qui viennent mourir plus loin,  au pied des Pyrénées dont la barrière enneigée et lumineuse s'allonge comme une femme qui se sait désirée par tant de regards qu'elle hésite encore ne sachant vers qui elle va succomber.

C'est un pastel vivant, je dirais murmurant du blé qui germe, du colza qui émerge et des pointes de tournesols qui commencent à monter vers le soleil.

Ici tout est calme, tout est loin de la fureur terrestre et le tracteur qui crachouille dans le vallon semble s'excuser à chaque fin de sillon en s'arrêtant pour respirer un peu moins fort.

 

Je suis au pays de Cocagne qui existe vraiment, non pas parce que c'est là que je vis mais par sa culture de la coque qui a fait la richesse des négociants toulousains il y a bien longtemps de cela.

Et c'est un vrai pays d'or tant le soleil ici semble vouloir s'arrêter un peu plus longtemps avant de s'échapper plus à l'ouest vers des sites tellement urbanisés.

C'est un pays de cœur, de passions et de résistances, un pays comme j'aime qui vous tend la main sans vous le montrer, une sorte de roche tendre, prêt à se battre pour sauver sa culture de l'envahissement et inquiet comme un père quand il voit une brebis manquante, le soir au retour du troupeau.

C'est un tout petit pays enclavé entre l'ogre des  Capitouls et l'orgueilleuse citadelle de Carcassonne, une sorte d'enclave, une épine incongrue dans cette longue et belle descente vers la Méditerranée, mais une épine de rose.

C'est un refuge pour animaux, les humains bien sûr dont je fais partie, mais aussi les biches languides, les sangliers fureteurs et je ne vous parle pas des lièvres qui foisonnent et qui adorent se rouler pour faire les beaux dans des chemins de poussières aux odeurs que si vous deviez les compter il vous faudrait l'infini. Et puis des oiseaux pépères et pas du tout vertueux si vous voyez ce que je veux dire, des abeilles un peu bourgeoises qui ne veulent que la lavande, ou le thym, peut-être encore le romarin. C'est simple je suis sûr que Noé a fait escale ici confondant le seuil de Naurouze avec le mont Ararat ou le canal du Midi aux tempétueuses mers traversées.

 

Un jour, un jour d'été au milieu de mes jours de vie, il m'est arrivé une bien drôle d'histoire.

Enfin quand je dis "drôle" c'est qu'elle résume à elle seule ce que j'essaie de vous transmettre avec mes mots emberlificotés.

J'étais arrivé en roulant au sommet d'une de ces montées dont je parlais au début.

Je me suis arrêté, j'ai garé ma diligence sur le bas-côté et l'air de rien, les mains dans les poches et une pâquerette aux lèvres, je me suis dirigé vers une ribe, ayant un besoin urgent de faire refroidir ma mécanique.

Et là, au bout d'un chemin, une touffe d'arbre et un petit clocher qui semblait jouer à cache-cache avec les branches joueuses me faisaient des signes d'un autre âge.

Un petit vent de gamin s'amusait à m'envoyer dans les narines des fragrances qui m'ont je crois rendu un peu pompette car c'est tout joyeux que je me dirigeais vers mon mystère.

Un vieux mur de pierres sèches, mais un très vieux mur, une grille fermée qu'il suffisait de regarder pour qu'elle s'ouvre dans des cliquetis de vieux os malicieux et une chapelle, toute simple, toute nue, toute petite et toute belle. Quatre cyprès qui se tapaient une belote avec le ciel, deux chênes bien plus vieux qui attendaient pour prendre la place, et au fond et si proche à caresser d'un doigt hésitant, la dentelle transparente des Pyrénées laissant deviner au voyeur que je suis des escarpements et des profondeurs de gorges à rendre jalouse la plus experte des effeuilleuses.

Et puis une demie douzaine de tombes.

J'avais sous les yeux une sépulture cathare, avec ses croix si caractéristiques et ses stèles en V renversé et coupé, surmonté d'un cercle de pierre symbolisant une roue.

Je suis resté immobile, longtemps, très longtemps. J'ai caressé les tombes, j'ai caressé les pierres, j'ai caressé les murs de la petite chapelle et j'ai écouté le vent.

J'étais bien, j'étais aux sources, mes sources d'hommes, mes histoires, mes batailles, mes rêves, ma vie.

J'ai frémi.

Je frémis encore en revivant cet instant.

 

J'ai refermé la grille, j'ai remonté le chemin, j'ai ramassé une pierre qui est là pendant que j'écris et puis, arrivé sur la petite route gravillonnée, je n'ai pas pu partir sans me retourner encore pour voir la chapelle et les vieux arbres qui avaient pris la pose.

Et je vous jure qu'à ce moment là, dans le ciel d'un bleu que c'est pas possible d'être aussi bleu, j'ai entendu comme un coup de tonnerre et ces mots "dix de der" qui roulèrent sur les sépultures.



25/02/2019
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