BLOG D'ANAÏS par Gérard CABANE

BLOG D'ANAÏS par Gérard CABANE

205 - LA FEMME AUX ROSES

Elle est là, devant moi, pantalon noir et chemisier crème fort seyant.

Et si son visage est souriant elle a le regard triste des jours qui passent et qu'elle ne retient plus.

Ses cheveux blancs coupés au carré la rendent plus douce encore et sa taille fine, son élégance naturelle, sa démarche souple la rajeunissent d'un grand nombre d'années, elle qui me dira plus tard qu'elle se sent si vieille.

La maison est bourgeoise, le jardin n'est que roses, l'intérieur un peu sombre et les meubles sont anciens.

Une odeur de fleurs bien sûr mais aussi une autre, un peu plus sucrée, me restent en mémoire. Son parfum est discret mais tenace, je le sens encore.

Nous nous installons, nous parlons, nous échangeons, comment dire, nous devisons, c'est ça, nous devisons entre gens de bonne compagnie. La vie, la ville, les gens, les enfants, la solitude.

Le temps passe et elle me ressert un second apéritif, du martini moi qui ai horreur de ça. Mais voilà, je suis poli, j'ai même précisé que le zeste de citron allait très bien avec, alors du coup je ne peux refuser.

Elle se détend, elle est bien, on est bien et dans la maison, quelque part dans une pièce perdue, un léger carillon nous rappelle que le temps passe.

 

Et puis, je ne sais pas comment, je ne sais pas pourquoi nous en venons à parler d'elle.

 

En fait tout est partie de ses "amies" qui sortent sans cesse, restaurants, visites, soirées dansantes, prétextes fallacieux pour rencontrer une âme sœur, un "mec" me dira-t'elle avec une pointe de sarcasme.

Elle les a suivies une fois et ne s'est pas sentie à l'aise, loin, bien loin de son imaginaire et de ses envies.

Son mari est mort il y a bientôt huit ans et, même s'il a cueilli toute sa vie les fruits d'autres arbres que le sien pourtant bien pourvu, elle en est restée amoureuse jusqu'au bout, homme d'intellect, de jouissances, d'imaginations mais aussi de puissance, "que voulez-vous après un tel être, les autres sont bien pâles…".

Un enfant parti à la Réunion avec sa progéniture et elle seule, là, dans une petite ville du sud qui comptent les heures et les jours alors qu'elle est érudite, qu'elle peint et que son goût marqué pour la beauté des choses mériterait tant d'être partagé.

Je le lui dis.

Elle en rit.

Mais surtout elle riait d'elle.

Alors, comme souvent dans mes rencontres nous avons remonté la pente. Et comme souvent le temps nous a dépassé.

Nous avons déjeuné d'une omelette et d'une petite salade, le vin "Bordeaux ? Bourgogne ?" et le café au percolateur.

Nous avons fait un tour dans son grand jardin, un petit parc en somme, où les roses rivalisaient de beauté et de senteurs. Le soleil était chaud mais amical, c'était un joli printemps et dans les propriétés alentours des entreprises de jardinage s'activaient à effacer les blessures de l'hiver.

Puis nous reprîmes un café dans le salon, elle bougeait, s'activait, parlait et c'est fou comme ce n'était plus la même femme.

La lumière était en elle.

 

Au moment de partir elle s'approcha de moi et me prit les mains.

Elle prononça quelques mots que je ne compris pas, une mauvaise moto passant de l'autre côté du mur d'enceinte. Devant mon air interrogatif elle répéta "vous reviendrez" ?

J'ai répondu oui.

Et en ouvrant le portail qui grinçait comme une scie musicale elle sourit en disant "alors, tout est bien".



04/06/2019
10 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au site

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 49 autres membres