BLOG D'ANAÏS par Gérard CABANE

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206 - UN VOYAGE EN BALLON

C'est un moutonnement de collines, une suite de seins de femmes, douce et caressante avec, parfois, au sommet de l'une d'elles, un téton de pierres éboulées, une tour de guet en ruines ou les pans d'une ferme qui ouvre son ventre asséché aux lierres et aux broussailles.

Je navigue entre ciel et terre, entre bleu et ocre et vert et jaune sillonnés du noir des routes départementales qui, ici, jouent au jeu de l'oie tant elles sont torturées et malicieuses.

C'est un domino de teintes pâles dans ce jour qui se lève et, là-bas à l'est, du côté de Toulouse, dans le flamboiement d'une suite royale, le soleil éclabousse les dernières pentes enneigées des Pyrénées, surprises au lever, nues et tellement impudiques sous la toiture du ciel.

Le Gers vu d'une petite nacelle qui navigue à quelques centaines de mètres de hauteur est un vrai cadeau de Dieu.

 

Quand je suis arrivé bien tôt, la nuit se couchait et dans les lambeaux de brumes qui se déchiraient comme une soie fragile, le ballon était déjà prêt accroché à son amarre.

Silence, odeurs de terre, bruit de la flamme qui garde la chaleur sous les tissus tendus, claquements des cordages qui maintiennent l'équilibre et un géant massif qui s'était tapé tout le boulot et qui avait une pogne aussi grande que la place du Capitole.

Il décroche le petit portillon de joncs et je pénètre comme un seigneur dans un peu plus d'un mètre carré sous la voûte hésitante du ballon qui chaloupe autant qu'un jeune marié avant sa nuit de noces.

Et là, mes amis, j'ai vécu ma montée au ciel, accroché au panier d'un mètre de haut, voulant tout voir, de la terre qui fuyait à l'aéronaute qui actionnait les commandes, de la voiture et sa remorque qui allaient nous suivre en bas pour nous récupérer plus tard, véritable Petit Poucet de l'ogre, au premier survol d'un village tout proche.

Nous naviguions dans un immense triangle, entre Toulouse - je l'ai déjà dit -, Auch plus au nord et Lannemezan planté aux pieds de mes Pyrénées et, dans cette naissance d'un jour de juin, cela faisait bien longtemps que je ne m'étais senti aussi bien sachant que seul les courants de l'air en altitude décideraient de notre route.

Alors je ne vais pas me transformer en guide touristique mais quand même, ces petits villages vus de haut avec tous ou presque tous la place du marché couvert, vieil édifice des temps moyenâgeux, ces petites églises cachées dans les replis des collines aux toits de tuiles ocres, ces champs multicolores, ces fermes en U ou simplement d'un seul tenant, ces biches qui déboulent des sous-bois inconscientes des prédateurs du ciel, cette profusion de couleurs, de vie qui s'éveille, de beautés ancestrales me faisaient regretter de n'être qu'un scribouillard alors qu'un peintre aurait tout saisi.

 

J'ai voulu aller plus haut et à coups de flammes nous sommes montés à 1500 mètres.

J'étais le roi du monde, je tutoyais les Pyrénées à les toucher des yeux, je devinais Toulouse, loin, bien loin dans sa gangue brouilleuse, tout était si petit et tout était si grand…. Je me taisais, je regardais, je bouffais mon pays, je respirais les poumons ouverts et seule la flamme chuintante nous maintenait en l'air avec l'horizon qui se courbait dans une douceur infinie de femme mûre. Je palpais la vie, je la pelotais, j'étais le gosse de mes dix ans et, comme lui, l'émerveillement des choses me submergeait au point que mes mains accrochées à la nacelle tremblaient de bonheur.

 

Les grandes ivresses ne sont pas éternelles et il fallut bien redescendre. Depuis un bon moment déjà, mon pilote cherchait un lieu adéquat, loin des lignes électriques et des câbles téléphoniques. Lentement notre ballon, privé de chaleur, se baladait, hésitant mais têtu.

Nous frôlâmes quelques arbres, quelques cours de fermes et puis devant nous, à la sortie d'un village, un petit terrain de sport nous attendait, voisin de quelques maisons.

C'est là que je roulais dans les pâquerettes, la nacelle se couchant et le ballon s'affaissant sur le côté.

J'avais bu trop d'air et j'étais ivre de mes sens.

Un homme, béret vissé sur le crâne, est arrivé.

Puis sa femme.

Puis les gosses.

Chaleur des gens, accent adorable et hospitalité gasconne, nous ne repartîmes, après avoir plié les toiles et mis la nacelle sur la remorque de la voiture, qu'après avoir bu un café dans le jardin de nos hôtes du moment qui " les voyaient bien ces ballons passer de temps en temps mais, macarel, c'est bien la première fois qu'il y en a qui tombe chez nous " !



17/06/2019
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