BLOG D'ANAÏS par Gérard CABANE

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204 - LES DEUX GAMINS

C'étaient des gamins de dix-neuf ans, des mômes d'un autre temps, d'une autre planète que celle d'aujourd'hui, des gosses venus d'ailleurs et qui n'existent plus depuis déjà longtemps.

Ils étaient malhabiles et respectueux, ils avaient encore leurs fossettes de bambins et, quand ils se souriaient, c'était l'émerveillement de la découverte qui se voyait en premier.

Elle piquait des vêtements à ses copines pour changer un peu de son ordinaire quand lui, moins préoccupé de son apparence, remontait le col de son manteau pour se faire plus grand.

Ils cherchaient chaque occasion, chaque instant pour se retrouver, seulement se retrouver et être ensemble.

Alors ils partaient pour de longues marches qui les éloignaient du monde mais aussi des autres. Ils n'avaient aucun endroit pour eux, aucun lieu pour s'abriter, juste la nature, les arbres, les murs d'une vieille cathédrale ou les bords d'un canal qui remontait vers le nord, vers le froid qu'ils fuyaient sans cesse.

Ils se réfugiaient dans des cafés, des cinés, une maison de la culture ou dans des fossés protégés du vent.

Mais quel que soit l'endroit, quelle que soit l'heure elle lui demandait toujours, ses yeux plantés dans ses yeux, "dis-moi que tu m'aimes". Alors lui, un peu protecteur, un peu fier aussi se penchait vers elle et lui répondait "pour la vie" avant de l'embrasser.

C'étaient deux gamins qui n'avaient que leurs mains comme archets, que leurs bouches solidaires et leurs regards avaient la profondeur de ce qu'ils entrevoyaient.

 

Un jour un ami leur prêta une maison perdue dans une campagne perdue. C'était le printemps, c'était une résurgence et, sur le bord d'un chemin qu'ils avaient emprunté, les premières fleurs surgissaient, rieuses et complices. Le soir il firent un feu dans la cheminée sale, ils étendirent des couvertures au plus près du foyer. La lumière était rousse, le repas bien succinct.

Mais ils avaient faim d'autre chose.

A travers les vitres couvertes de chiures de mouches des fenêtres sans volets, les lucioles blanches et dorées s'étaient allumées et envahissaient le ciel.

Moment d'éternité, silence, craquement du bois, glissements d'air sous les portes, aboiements de chiens qui se répondent et elle, nue, qui lui demande de lui offrir une étoile.

Et dans un geste fragile et élégant, Petit Prince d'un désert de pierres rudes, il décrocha une lumière pour la déposer sur son ventre d'ombres.

 

L'époque était toute autre, les valeurs établies, les mots avaient un sens et les êtres bousculés savaient se retrouver au milieu de la masse. Les Beatles flambaient, Gainsbourg chantait l'érotisme d'une année, Brassens sa supplique et les guitares sèches menaient le dernier combat contre celles qui, électriques et obsédantes, embrassaient déjà l'avenir. Ce n'était plus tout à fait les "yéyés", pas encore le disco, c'était juste un creuset dans lequel les soubresauts de demain allaient faire exploser ce monde.

C'étaient deux gamins inconscients de ce qui les entourait, tellement soucieux de l'autre qu'ils ne voyaient pas cet univers de mutant qui frappait à leur porte.

Et dans les baisers qu'ils partageaient, dans les mots qu'ils déclinaient, poésie tendre et délicate, chuchotements intimes d'une renaissance, ils ne cessaient de se regarder comme si, par aventure, ils auraient pu, un jour, se perdre.



05/05/2019
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