BLOG D'ANAÏS par Gérard CABANE

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73 - LE PALIMPSESTE DU TEMPS

C'était il y a bien longtemps.

 

Un temps qu'on n'imaginait pas se casser la gueule comme cette infernale spirale qui nous dévore aujourd'hui.

Un temps où internet n'existait pas, où le téléphone n'était qu'un téléphone, un temps où les œillets se vendaient encore, où le coco se suçait en bâtonnets et le chocolat s'appelait Menier, Cemoi, Kohler, où boire du Banania n'était pas du colonialisme et lire Tintin au Congo encore moins du racisme.

C'était il y a bien longtemps, c'était il y a quarante ans, cinquante ans à peine, le temps de mes dix ans, de mes vingt ans, le temps où mes amis n'avaient pas de couleurs, pas de religions, pas de "signes distinctifs" à part peut-être l'insouciance et la fossette au menton.

 

Quand je t'attendais derrière le lycée j'avais le cœur qui battait, non pas de ce qui allait se passer mais de peur que tu ne viennes pas, c'était un temps de lenteur où la séduction se faisait pas à pas, un temps où l'imagination était notre cinéma et nos rêves un but que nous étions certains d'atteindre.

Nous buvions du café dans des mazagrans de grès à l'intérieur de bars enfumés au son d'un juke-box  alignant des 45 tours pour la plupart rayés. Le cliquetis des pièces de monnaie que nous nous fauchions les uns, les autres, rythmait la journée mieux que les Beatles, les Animals ou Cliff Richard réunis. Nous lisions Sartre, Camus mais aussi les américains, les russes et quelques autres encore qui venaient d'Orient ou d'Amérique du Sud, et quand le jour se prenait pour la nuit nous commencions seulement à nous resserrer l'un contre l'autre pour ne plus nous quitter.

 

C'était un temps qui mourait, un temps de crépuscule alors que nous pensions que des aubes naitraient.

La fureur qui viendrait plus tard ne serait plus cette ivresse que nous avions de vivre et qui nous faisait vibrer.

Alors, quand nous marchions dans les rues de la ville, quand nous nous embrassions à l'ombre des cathédrales, quand dans des rires de gamins nous évitions les flaques qui renvoyaient l'éclatement des nuages, quand je jouais Giraudoux , Tchekhov ou que je gesticulais dans un théâtre de quatre sous, je n'entendais pas derrière tes applaudissement tendres les craquements d'une société qui avait d'autres faims que celles qui nous tenaillaient le ventre.

 

Ainsi est le temps qui fuit comme un filet d'eau se perdant dans la terre et ne ressurgissant jamais, englouti, tari, asséché, épuisé de s'être fourvoyé.

Jamais ?

Il arrive  parfois qu'une résurgence survienne et éclate entre des roches écroulées. Elle jaillit comme le rire d'une jeune fille, bouillonne comme la Laure de Pétrarque et se découvre alors, comme au premier jour, avec la fraîcheur du renouveau et la douceur d'un bouton de rose.

Et les bulles d'air  venant  éclore à la surface maquillent le temps qui prend alors ce coup de jeune que l'on n'attendait plus.

 



15/05/2016
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