BLOG D'ANAÏS par Gérard CABANE

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50 - LES ANNEES CICATRICES - II -

Nous jouions de la guitare le dimanche pour faire passer le temps.

 

Nous jouions de la guitare dans cette grande salle d'études réservée aux internes et vidée des petits mâles qui étaient repartis chez eux dans des week-end de pluie.

Nous jouions "On the road again" ou encore Brassens et, quand une fille passait devant les fenêtres ouvertes, nous tentions des accords à la Keith Richards en nous prenant pour McCartney ou bien encore Lennon.

Au dehors, invariablement, le temps gris et l'hiver qui engluaient nos esprits n'empêchaient pas nos yeux de s'allumer quand Jean Francis ou alors Soupette nous époustouflaient de leurs solos.

Moi j'étais moyen connaissant seulement les premières notes de "Jeux interdits" ou d'un concerto que l'on reconnaissait après coup être celui d'Aranjuez. Cela me permettait plus tard d'enlever les yeux dans les yeux une place féminine qui se croyait forte et qui succombait invariablement à mon air inspiré.

Je compris très vite l'importance de sortir du rang et, quelques mois après dans ce printemps où la révolution était plutôt celle des bleuets que d'autres fleurs parées de l'immuable rouge, j'avais retenu la leçon enlevant plus de jupons que de barricades.

 

Je vous revois mes amis dans vos barbes viriles qui cachaient des visages de bébés.

Je nous revois "philosophant" sur les couilles des amibes en comparant nos "génies" au génie des filles car bien sûr, un seul être vous manque et tout étant dépeuplé, nous avions la folie de tomber amoureux plus souvent que nous allions servir la messe.

Chacun y allait de sa petite histoire mais, et c'est paradoxal pour des êtres si mâles, nous avions des pudeurs de vierges en taisant des détails que nous gardions pour nous, ahuris de tant de si belles fortunes.

Nous explosions nos cœurs à travers la musique mais au fond nous étions les derniers romantiques et on ne comprendra jamais  l'histoire qui suivit en mai 68 si l'on oublie que cette "révolution" ne fut qu'une envie d'utopistes.

 

La pluie a cessé.

 

Nous sortons taper dans la balle.

 

Nous avons dix-huit ans, quelques uns dix-neuf et dans nos pulls marins, sous nos cabans fermés notre sang bouillonne et nos têtes n'ont pas de limites.

Plus loin le surveillant général - que nous appelons cinq-et-deux-sept à cause d'une claudication intempestive - fait sa balade digestive alors que sa femme étend ses culottes au balcon de leur appartement juste au dessus de l'entrée du lycée. Nous nous poussons du coude devant des dentelles roses et des bas noirs qui s'agitent comme des muletas face à des taurillons en rut.

 

Odeur du temps passé, gestes oubliés, surannés. Atmosphère  d'un autre époque, plus lente, comme est lente la longue pousse des arbres.

Nous avions une route de vie devant nous.

Elle semblait tellement, tellement évidente, bordée de platanes centenaires et de fleuves qui allaient invariablement à la mer.

Nous ne savions pas encore que Malraux allait écrire deux ou trois ans après ses "chênes qu'on abat".

 

Avant de mourir.

 

Aujourd'hui, près de cinquante après, en écrivant ces lignes tout en écoutant le deuxième mouvement du concerto 23 de Mozart mon ami, je ne sais pas pourquoi j'associe ces deux images, Malraux et la mort....

 

Enfin si, je ne le sais que trop bien et ce ne sont pas les notes  de cette musique crépusculaire qui vont me détromper.

 

Ainsi va la belle vie qu'à la fin elle se noie d'avoir tant brûlé, ne supportant plus de devenir cendres.



17/10/2015
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