BLOG D'ANAÏS par Gérard CABANE

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53 - LES ANNEES CICATRICES - III -

J'avais seize ans.

 

Juste seize ans et je débarquais de mon midi natal.

 

J'arrivais à Paris venant de cette Provence que je n'avais jamais quittée et qui m'avait biberonné, caressant du regard ses collines comme, plus tard, je caresserai les seins des femmes aimées.

C'est à dire avec douceur et le regard émerveillé de tant de chances.

 

C'était le cancre rejeté, celui qui avait été exclu de pas mal de lycées, le frondeur juste bon en français qui se retrouvait sur un quai de la gare de Lyon cherchant des yeux un couple qui allait tenter de le sauver de ses échecs continus. Et après un hiver de bachotage dans une boîte privée farcie de gosses de riches je partais une première fois pour l'Espagne durant tout un été, non pas de farniente, mais dans la pure continuité de mes "études " de rattrapage.

Et là, un an plus tard, à dix-sept ans, j'allais devenir grand car, n'est-ce pas, "on n'est pas sérieux quand on a dix-sept ans et qu'il y a des tilleuls verts sur la promenade". N'en déplaise à Rimbaud ce n'était que de mauvais chênes verts et des eucalyptus faméliques mais quand même, sous leur couvert, je devins petit homme dans cette année de mémoire.

 

L'Espagne de cette époque c'est Franco.

Mais c'est aussi l'Espagne qui bouge quand le Caudillo se fige. Partout des gardes civils, partout des hommes de l'ombre, ombre du gouvernement qui se renseigne et ombre des républicains qui connaissent Garcia Lorca par cœur.

Cette année-là je suis définitivement né dans la Mancha, le pays de Don Quichotte.

Au-dessus, le ciel avec ses bleus à l'âme et un soleil qui n'est pas tout à fait rouge mais qui brûle le sang de passions nouvelles. Des châteaux perdus, seuls sur  des plateaux déserts, magnifiques de grandeur et d'orgueil, abimés et usés, derniers moulins des ultimes batailles. Je vois des ailes imaginaires à travers mes lunettes de myope et dans l'ombre des remparts du Castillo del Belmonte, devant une étendue sèche et jaune qui ressemble à un océan de chaume, tu m'as embrassé.

Et tu m'as laissé remonter tes jupes.

 

A la nuit, ivre de bonheur, de cette gloire éphémère qui ne dure qu'un battement de cœur, je t'entraînai sur la place principale de Cuenca. Là, un transistor posé sur un banc, sous la marquise fragile d'un petit kiosque à musique nous avons dansé tous nos rocks du bagne et parlé de Dali et de Barcelone la frondeuse en récitant des vers d'Antonio Machado.

Nous avons ri entre nos baisers, tellement ri dans notre jeune liberté !

Et combien tu étais belle dans cette soirée chaude alors que là-haut, sous les étoiles voyeuses, la voie lactée ressemblait à un lit.

 

Puis ils sont arrivés.

 

D'abord à cheval, ensuite en voiture. Toute une escouade de policiers policés, le képi brillant et ridicule, l'air méchant, non pas pour le bruit - en Espagne les soirées sont animées - mais pour la musique interdite comme était interdit le maillot deux pièces pour les femmes, comme était interdit tant et tant de choses de la vie de tous les jours.

Nous passâmes la nuit au poste derrière des grilles sales couvertes de chiures de mouches, dormant dans les bras de l'autre, épuisés de tant d'amour de mômes.

 

Le lendemain on se fit engueuler par un collège de professeurs peureux.

 

Après ?

 

Après nous fîmes l'amour et refîmes l'amour comme des découvreurs de terres inconnues, flibustiers de nos corps et de nos déferlantes.

Seul un transistor à nos côtés distribuant en sourdine des musiques d'un autre monde, était notre témoin.

Et chaque soir, à la terrasse de l'hôtel Alfonso VIII devant des jugos de naranjas glacés et des femmes en noir, nous écoutions en douce les Beatles.

Moi, comme le grand gamin que je devenais, je sentais bien que tes jambes étaient pleines d'aubes nouvelles.

 

Pourtant, au-delà  du plaisir, tes yeux me préparaient à la révolte...

 

 

 



10/11/2015
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