BLOG D'ANAÏS par Gérard CABANE

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4 - DES LENDEMAINS QUI DECHANTENT

C'est un ciel gris, une route grise, un horizon gris.

 

Un mauvais crachin noie la plaine qui dès la sortie de Bourges s'étend, morne et lugubre comme si elle ne devait jamais finir. Plus loin au nord, par-delà l'invisible, les premiers bouleaux blancs et les premiers charmes enserrent les étangs immobiles et froids de Sologne. 

J'entends le bourdon de la cathédrale dans ce silence de mort et les rares voitures qui passent devant cet arrêt de bus planté dans ce faubourg sinistre envoient des gerbes d'eaux sales qui retombent, glauques, sur les trottoirs défoncés.

Je dois la retrouver à la gare et partir avec elle. Nous volons du temps au temps, nous nous découvrons, nous nous aimons déjà et cette vieille maison en ruine dans ce hameau perdu d'Aubinges sera notre refuge, notre secret comme deux gamins sensibles savent, seuls, le garder.

 

Nous sommes dans l'hiver 68, peut-être même au début 69 et mai est déjà loin.

 

Après ce que les journaux ont appelé les "événements" la France est vite partie en vacances cherchant à oublier les barricades, les manifs, les CRS et a troqué son inquiétude et sa peur du lendemain contre le farniente, le soleil, les saucissonades dans des campings surpeuplés et les bikinis bordés de dentelles en toc.

Les services municipaux des grandes villes de l'hexagone commencent à remplacer les pavés par de l'asphalte bien lisse et sans menaces. Les députés députent, les philosophes pontifient - certains sur des bidons dans des cours huileuses d'usines en perdition, les ministres se prennent pour des roquets et aboient maintenant qu'ils n'ont plus peur et, dans les bals de la République, dans les ors vieillissants des palais parisiens une faune libérée refait ce monde qui a failli imploser une coupe de champagne à la main.

 

Moi, mais je ne le sais pas encore, je vais payer ma "révolution". On va régler mon compte et m'exécuter dans la plus grande discrétion. Les "enfants de 68" comme on le dira plus tard, ces garçons rigolards qui aimaient à regarder sous les jupes des filles et ces filles libérées balançant leurs pantys pour le baiser d'un garçon, se retrouvent orphelins de leurs amitiés si jeunes et bien trop fortes. Ils n'entendront plus ces appels à la grève, ne grimperont plus sur des tables bancales, ne copineront plus avec des professeurs si vite récupérés parce que courage fuyons et surtout, surtout, n'auront plus cette impression, juste cette impression fragile d'avoir vécu heureux l'espace d'un printemps.

Alors les garagistes n'ont plus la trouille avec l'essence revenue, les Rolling Stones continuent à gagner de l'argent, la télévision peut enfin émettre en apportant la bonne parole et les radios passer et repasser les disques des "idoles" qui auront tout de même pris un coup de vieux pendant qu'à l'Elysée ou bien ailleurs, dans d'autres temples de la pensée "républicaine" et confortable, on déroule le tapis rouge comme étaient "rouges" ces syndicats qui ont gentiment rosi dans un Grenelle pompidolien.

 

Le bus s'arrête dans un chuintement de freins à bout de course.

A l'intérieur des gens quelconques qui ne se regardent pas mais qui s'épient, France agenouillée des églises, obséquieux et égoïstes murmurant  " de profundis clama ad te Domine " tout en serrant leurs sacs sur leurs ventres pleins.

Moi, des profondeurs de mon être, libre parce qu'ayant osé, je venais vers toi.

 

 

 

 

 



09/06/2014
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