BLOG D'ANAÏS par Gérard CABANE

BLOG D'ANAÏS par Gérard CABANE

107 - LARNAS

Chacun a son terrier, chacun sa chapelle, son espace intime où il vient se ressourcer, se retrouver avant de continuer, vaille que vaille, à coller un sourire sur son visage et faire comme si, comme ça, enfin comme il peut pour ne pas trop se retourner en arrière.

J'aurais pu vous raconter mon Ventoux, ma Montagne solitaire et fière où, à l'aube d'un matin d'été j'ai vu, planté au sommet dans le froid insidieux, un soleil tout jeune se lever dans sa robe pâle du côté des Basses-Alpes et venir éclabousser la pierraille blanche des versants endormis. La rocaille alors semblait renvoyer les éclats des étoiles de la nuit qui étaient venues s'assoupir avant de s'échapper en douce vers l'ouest et son mauve fragile.

J'aurais pu dire ma Camargue, mes Dentelles, mon Rhône mais aussi, plus avant, certains coins de France où une cathédrale s'élevait si haut que c'est aujourd'hui à peine que j'arrive à sa hauteur.

Oui, j'aurais pu vous embarquer dans plusieurs de mes repères, de mes creusets, de mes utérus si personnels qui ont fait ce que je suis.

Mais j'ai choisi Larnas parce que ce lieu, à lui seul, traduit tout.

 

C'est un endroit perdu planté sur les derniers plateaux de l'Ardèche avant la cascade abrupte sur la vallée du Rhône du côté de Montélimar. Il n'y a pas cinquante routes pour arriver au village, non et c'est bien ainsi. Seuls, à l'époque, les nudistes de Vallon pont d'Arc connaissaient le parcours en passant par Saint-Remèze avant de trouver l'eau, l'eau si rare dans ce pays sauvage et sec.

Là, en bordure, assez loin du village, il y avait une maison droite, paumée et laide, une sorte de remise restaurée avec les moyens du bord. On est dans les années cinquante, soixante, ces années où les gens s'ébrouent encore des rigueurs du temps passé et découvrent le bonheur de nouvelles libertés.

Je découvre à neuf ou dix ans l'espace, le stratosphérique espace de champs, de haies, de bois à perte de vue et cette bicoque avec l'eau à la citerne et les chiottes bien éloignés dans un appentis en bois avec la vue sur les champs de luzerne et les cabrioles de lapins pendant que l'on "officiait ".

Nous venions en vacances  d'été ou de Noël, chez des amis auteurs de trois filles.

Vous vous rendez-compte, trois filles pour moi tout seul et qui se suivaient tous les deux ou trois ans, moi étant au milieu !

Comment vous dire mes errements ? Comment vous raconter l'inénarrable quand le gamin que j'étais découvrait que c'était drôlement chouette  le coup des balançoires avec les robes soulevées quand l'escarpolette redescendait ? Et puis ces petits matins au chocolat brûlant assis sur la terrasse, le nez dans le bleu du ciel avec ma Cour assise à mes pieds qui attendait de savoir si nous irions aux écrevisses, aux Amandes ou à cache-cache derrière les genêts en fleurs ou les buis odorants ? 

Comment vous dire ma mère si belle, si blonde, si jeune, si heureuse, si joueuse de vie ? Et mon père à côté, l'air un peu sérieux, bouffarde aux lèvres et l'intelligence comme couverture ?

Oui, comment sortir de mon intime cette construction que je suis ?

Je revois mon frangin, tout petit gamin avec ses jambes de têtard courir sur le chemin les bras levés... ses cheveux d'or lui donnaient un air de piaf qu'il a gardé toute sa vie !

Nous étions heureux dans ce monde perdu où nous fricassions les champignons, rôtissions les perdreaux, et nous nous pourléchions de civets avant d'aller nous tordre le ventre de cerises trop vite avalées.

Je revois tout, je sens tout, j'ai tout dans la tronche et j'étais là comme un roi sur ses terres, ivre de cette ivresse que je ne retrouverais plus.

 

Aujourd'hui mes terres ont reculé, la plupart ont disparu et je me retrouve comme un phare au bord d'un océan où l'infini m'attend, dernier lopin de mémoire avant l'oubli total.

Alors, comme un enragé, j'envoie mes lumières, je balance mes feux, j'éclaire le sombre de l'arrière pour ceux qui sont devant et qui ne voient pas très bien, emportés par les jours qui filent.

Un jour, on devient gardien d'un musée où plus personne ne vient.

Dans ma main, j'ai les clés de mes fondations, j'ai monté pas à pas les étages de ma maison, j'ai crée des fenêtres, des issues, des chemins secrets et j'ai laissé  mes portes ouvertes, mais Bon Dieu, que vous me manquez tant alors que je sens de putains de mauvais embruns qui, à force d'usures et de ténacité, érodent mon granit d'homme debout.



21/01/2017
10 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au site

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 48 autres membres