BLOG D'ANAÏS par Gérard CABANE

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109 - UN JOUR, AU BOUT DE MA CAMARGUE...

C'est une langue de sable qui cherche à épouser la mer.

 

Un lieu d'éternité, une sorte d'Eden perdu, un site de communion entre la terre et la Méditerranée là où, ensemble, elles se noient et se marient.

C'est un espace sauvage, un fortin de la nature propulsé par la Camargue en offrande à la mer qui la nourrit par sa salinité et par les reflets de bleus qu'elle roule avec les grains ocres ou pâles. Ils forment des bancs au loin, comme si la plage s'adoucissait enfin aux caresses de l'eau.

 

Je suis sur la lagune de Beauduc et c'est l'hiver.

 

Beauduc ne se donne pas, elle se prend.

Je veux dire qu'il faut savoir marcher, lutter contre le Mistral, résister au sable qui protège son domaine, s'essouffler à chercher la piste qui disparaît parfois comme disparaît souvent dans cette merveilleuse Camargue ce que l'homme a tenté de construire pour y imprimer son sceau.

Si j'ai choisi ce moment désolé, cette période froide de l'année c'est que je sais, oui je sais depuis mon enfance, que ce pays est un cadeau que la nature fait quand, désertée par les habitués de l'été elle se régénère, se revivifie et, pour tout dire, se met enfin nue pour pénétrer dans le lit de l'hiver.

 

Entre les Saintes-Maries et Port-Saint-Louis du Rhône, à quelques encablures des Salins, là, au bas du ventre de ma belle Provence, je me pose contre une souche d'arbre sculptée par les éléments, à moitié enfouie dans le sable moutonneux. Sa peau est lisse comme la peau d'une femme, ses formes sont épurées, débarrassées des scories affamées, alors j'appuie ma tête, j'appuie mon corps et je ne fais qu'un avec un mort qui m'apprend à vivre.

Je vois dans le ciel le galop silencieux des nuages, j'entends les cris de mouettes et de quelques goélands vantards, le roulement éternel de la mer, le sifflement du vent dans les talus de la digue, je sens le sel, l'eau, la saumure des étangs d'où sortiront le soir si le vent s'est calmé quelques flamants rose à la recherche de crevettes insouciantes à se mettre dans le bec. Au loin un bateau se prépare à rentrer au port de Marseille ou bien alors de Fos et, dans les rouleaux de ma mer nourricière, des écumes jaillissent comme des pièces d'argent.

Je suis bien et tout à l'heure, en revenant sur les Saintes, je ferai un détour par la route de Sambuc à la rencontre des chevaux que je montais plus jeune pour  approcher les taureaux avant d'aller faire le beau, le soir lors de courses à la cocarde dans  des villages où les filles n'aimaient que les vainqueurs étonnés.

Mes souvenirs affluent, mes souvenirs me maintiennent et des images mitraillent ma tête, des moments de bonheur ici, au même endroit. La plage est déserte et j'ai l'impression d'être le dernier survivant du monde, une sorte d'épave d'une époque disparue. C'est une impression bizarre, presque douce car cette solitude-là foisonne de compagnie avec des êtres qui ont traversé ma vie.

 

Quand je sentirai que l'après-midi aura des envies de nuit, je prendrai ma voiture et une nouvelle fois que je crois toujours la dernière, je remonterai jusqu'à Port-Saint-Louis prendre le vieux bac de Barcarin. Je traverserai mon Rhône, je serai sur le bord du bastingage au milieu de gens de chez moi à l'accent pas possible et je regarderai du côté de la mer, là où le fleuve se perd à jamais comme un jour, évidemment, je le ferai moi-même dans une autre immensité.

Et dans le soir qui arrive, au milieu de loupiotes tremblantes et paumées de la petite ville, j'arrêterai mon carrosse aux dernières maisons regroupées et bien frileuses, je m'appuierai contre un cyprès gardien de mes héritages, de ces histoires passées qui me traversent et me constituent, j'allumerai une cigarette en contemplant mon ciel aux étoiles pâlichonnes, je remonterai le col de ma veste parce que ce Mistral, vous savez c'est un sacré coquin, et j'attendrai comme à chaque fois que je fais cette route que mon cœur se calme d'avoir tant aimé.

Alors en souriant parce que la vie m'a fait ainsi, je me dirai qu'une gardiane de taureau dans un petit restaurant de Saint-Martin- de-Crau, que je connais bien, serait la bienvenue pour la route du retour.

Vous voyez, chez moi le futur, le présent et le passé se conjuguent ensemble.

Et c'est comme ça que je ne perds pas de temps sur le temps qu'il me reste.

 

 

 



08/02/2017
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