BLOG D'ANAÏS par Gérard CABANE

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11 - UNE FEMME A L'ENVERS

Je me souviens de cette femme.

Et si, aujourd'hui je fais cette note, c'est pour toutes les femmes qui, comme elle, arrivent à ce qu'elles imaginent comme une frontière, la soixantaine, qui n'est en fait qu'un rideau qui se lève enfin  sur une liberté qu'elles n'imaginent pas.

Liberté de dire, de faire, de ressentir, d'oser, liberté de manger et de s'envoyer en l'air avec Mozart ou avec Robert enfin quoi, liberté qu'elles ont bien souvent payée par des cicatrices qu'elles planquent, pudiques, au plus profond de leur crâne.

Cela ne s'invente pas mais je l'avais rencontrée pour mon travail chez ses parents âgés de plus de quatre-vingts ans. Comme quoi mieux vaut avoir des filles que des garçons ! Elle m'avait époustouflé. Grande, fine, grise de cheveux, élégante et d'une timidité, d'une réserve presque maladive, elle manquait évidemment d'assurance ce qui était un comble quand on connaissait son parcours. Je sentais bien que le courant passait entre nous mais je ne m'imaginais pas ce qui allait suivre.

Ses parents s'isolant pour la sieste - si, si !! - nous nous retrouvâmes à discuter devant un café alors qu'elle devait partir et que j'avais d'autres rendez-vous. Mais que voulez-vous il en est des attractions des êtres comme  celle des planètes de nos galaxies, il faut être astrophysicien pour les prévoir et, je ne sais pas si vous l'avez remarqué, mais je ne suis pas astrophysicien.

Alors je me suis calé dans un fauteuil, j'ai écouté, j'ai provoqué la confidence, sachant que derrière les mots prononcés il faut bien souvent entendre autre chose.

C'était en hiver et l'éclairage discret nous isolait du monde.

Et cette femme que je connaissais à peine,  me fit , ce jour là, la plus intime des confessions.

C'était des vannes fermées depuis des années qui s'ouvraient, un flot ininterrompu d'images, de ruptures, de fêlures, de départs et d'isolements qui se déversaient, une ironie acerbe sur les hommes, des comptes à régler, des douleurs dans les chairs mais aussi et surtout dans l'âme. Mariée, divorcée, des enfants brillants, remariée, divorcée à nouveau, des amants maladroits qui s'incrustent et des amants adroits mais fuyants, mais tordus et puis depuis cinq ans plus d'homme, plus d'amour, plus rien, plus de sexe et la paix.

Mais la paix douloureuse, la paix armée avec sa vie en bandoulière et ses parents qui la tirent vers la mort dans leur vieillesse égoïste.

Alors, lentement, nous avons remonté le courant. Nous avons refait l'histoire, son histoire et je la sentais se détendre mais aussi se comprendre elle qui n'avait jamais rien dit et qui, là, subitement, s'entendait parler.

Elle était belle dans sa fureur et dans ses interrogations. Je le lui ai dit, comme je lui ai dit aussi qu'il ne fallait pas transformer les hommes en héros. Ce ne sont que de petites mécaniques qui ne se grandissent que parce que les femmes les élèvent. Et cela dans tous les sens du terme. Je lui ai dit enfin de balayer ses rancoeurs et d'ouvrir ses fenêtres, de voir différemment ce qu'elle croyait connaitre et surtout, surtout de ne jamais baisser les bras et d'aimer, toujours, sans faiblir car dans chaque être il y a une petite pierre bleue qui attend qu'on la caresse, un bijou intime espérant son prochain.

Nous nous sommes quittés.

Elle a acheté mon premier livre, l'a aimé, me l'a écrit.

Nous avons ainsi correspondu quelques temps.

Puis, un jour, elle m'a dit être amoureuse.

Heureuse.

Alors, je me suis effacé.

 

 

 



03/09/2014
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