BLOG D'ANAÏS par Gérard CABANE

BLOG D'ANAÏS par Gérard CABANE

111 - MADAME

Ces mots qui vont suivre cela fait longtemps, Madame, que je voulais vous les dire, oui bien longtemps que je voulais vous en faire la confidence.

Ils tournent en boucles dans ma tête comme ces airs d'autrefois que l'on n'oublie jamais.

Pour tout vous dire, je m'interroge sur vous depuis que je suis gosse, vous voyez, cela commence à faire et j'ai bien peur de continuer ainsi jusqu'à ce que, épuisé de vous chercher, je franchisse le seuil du non-retour.

Tout jeune, je vous écoutais derrière les portants de cette teinturerie. Vous étiez si belle, si formidablement belle avec cette façon qui était la vôtre d'essayer une robe qui venait d'être raccourcie ou bien rallongée, c'était selon vos envies. Je découvrirai plus tard que c'était aussi en fonction de votre humeur, voire de vos désirs d'être aimée. Je vous entendais raconter des choses banales ou des choses plus intimes, des mots qu'un gamin n'aurait jamais dû entendre. Mais voilà, on ne fait jamais attention aux enfants quand ils sont à l'abri derrière leurs bandes dessinées. J'ai découvert là les premiers secrets de votre Mandragore et j'ai vu de mes yeux écarquillés que derrière des bas de soie pouvaient se cacher des trésors mieux protégés que ceux qui se trouvent dans des îles pourtant bien lointaines et tout autant dissimulées.

De cette époque-là, Madame, vous fûtes mon soleil.

Plus tard, oh pas beaucoup plus tard quand même, vous m'avez donné accès à vos geôles et depuis, comme le spectre des lieux interdits, je vis dans votre ombre et je vos respire vos parfums.

 

Plus tard encore, et là bien plus tard, j'ai compris que si je n'avais été que cela j'aurais été quelconque, aussi ai-je découvert ce qui fait votre essence et qui vous rend si précieuse à mes yeux.

 

J'ai découvert votre intelligence, votre intuition, votre finesse, j'ai compris aussi que, sans vous, le monde serait infiniment glauque car vous apportiez, au-delà de votre courage, cette force de vie et de renouvellement qui nous fait grandement défaut à nous, les hommes.

Je vous voyais vivre et je vous enviais, je vous voyais réagir et je vous admirais, je vous voyais révoltée et je vous comprenais.

Je ne saurais traduire tous ces sentiments qui m'ont submergé quand, de guerre lasse et devant la bêtise humaine, vous aviez cette façon tout à fait unique de prendre du recul, de vous isoler et d'attendre que les faits vous donnent raison.

Car vous êtes bien souvent dans le vrai.

C'est vous, Madame, qui insufflez, vous qui motivez, vous qui, cachée dans les tentures derrière lesquelles les hommes aiment bien vous laisser inertes, décidez fondamentalement avec ces façons tout en délicatesse de leur faire croire que tout vient d'eux, que tout procède d'eux.

 

Vous êtes le metteur en scène des acteurs que nous sommes.

 

Alors aujourd'hui, aujourd'hui où je suis sur une pente inéluctable, aujourd'hui où la camarde se rapproche même si j'ai tellement de puissance que cette garce me cherche encore, oui aujourd'hui et avant qu'il ne soit trop tard, je voulais vous dire avec ce regard de gosse qui est le mien " Je vous aime, Madame, je vous aime pour mon éternité".

Vous êtes, vous avez été ma chance et, pour tout dire, mon bonheur de vivre.

Vous côtoyer, Madame, c'est d'abord s'élever, c'est aussi se parfaire et c'est regretter de ne pas être né fille pour vous comprendre un peu plus encore.

Oh ! je sais, je sais Madame, vos défauts sont réels, vos bouderies monstrueuses, vos ruades dévastatrices mais, que voulez-vous, même cela me manquerait si vous ne les aviez pas en vous.

En réalité ces imperfections vous subliment quand, mutine, vous les reconnaissez comme pour faire ressortir la beauté de l'œuvre que vous êtes devant la masse brute des hommes que nous sommes.

Cette masse que, d'un sourire, vous tenez à merci.



19/02/2017
15 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au site

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 48 autres membres