BLOG D'ANAÏS par Gérard CABANE

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58 - UNE FEMME EN CREUX

C'est une femme en creux.

 

Je veux dire que c'est une femme heureuse.

Mais malheureuse.

 

Elle rit, sourit, vit dans une grande et belle maison. Elle a un parcours heureux dans un bonheur heureux et autour d'elle la vie est douce, calme et s'écoulent les jours comme ce long fleuve tranquille qui au bout de sa course ultime rejoindra inéluctablement tous les fleuves de toutes les terres dans ces océans vides des mondes perdus.

C'est une femme vivante, active dans sa deuxième vie après celle du travail, tous les jours des jours abattus, alignés sans penser, sans faiblir aussi car c'est une femme forte, d'abord pour les autres, ses proches, ses intimes, sa tribu.

C'est une femme qu'on n' imagine pas fragile tant sa vigueur à déplacer les montagnes n'a de comparaison qu'avec la façon qu'elle a de les remettre à leur place.

Oui, c'est une femme dont on pourrait dire, ça va bien, elle a réussi, c'est un exemple.

Oui, on pourrait le dire.

Mais je ne le dis pas.

 

Il y a toujours des fêlures n'est-ce pas derrière les masques de la joie.

Il y a toujours des cassures, des coupures chez celles qui, maquillées pour le bal du quotidien, offrent l'image du bonheur simple.

 

Et souvent, pour ne pas dire toujours, c'est l'amour, ce putain d'amour qui est le seul véritable Dieu du monde.

 

Elle est à l'âge intermédiaire, ce moment où le fléau du temps hésite entre ce que l'on a été et ce que l'on va devenir dans cet obscur couloir des jours d'hiver triste, ce passage de l'octroi qui , insensiblement, flétrit le corps et l'âme, payant ainsi le tribut pour vieillir un peu plus. Elle voit bien dans son combat de femme "heureuse" ses amis partir, ses souvenirs s'éloigner et cet abandon inéluctable des gestes de l'amour quand, dans des nuits tourmentées, son corps lui parle encore alors que ses cris muets cognent les murs de la chambre.

C'est une femme heureuse qui voit le temps s'accélérer, les enfants s'envoler et l'homme s'assoupir car les hommes n'est-ce pas vieillissent tellement plus vite.

Alors elle s'active un peu plus encore, trouve des passions nouvelles, verse dans le caritatif, s'emploie à consolider les brèches qui, une à une, s'ouvrent dans sa tête qui est restée si jeune. Elle marche en forêt, elle se crée des activités, elle se disperse pour ne pas penser à certaines rencontres qui auraient pu changer sa vie.

Peut-être même les embellit-elle encore dans cet éloignement des choses qui les rend plus présentes.

 

C'est une femme forte lorsque, les yeux encore embués, elle sourit bravement à ce combat qui approche.

Elle sait que la beauté va devenir intérieure quand, dans les années qui arrivent, les crèmes de jour et les crèmes de nuit voisineront à jamais avec les médicaments pour l'endormir enfin.

Seul son parfum alors recouvrira son corps.

Pourtant elle est à ce moment de la vie où tous les possibles sont possibles, où les regards qui la caressent sont autant de reconnaissances non seulement de l'attrait qu'elle provoque encore mais aussi des rêves qu'elle engendre car, je vous le dis, il n'est plus bel âge que cet embrasement des yeux quand, dans des luminosités de fin de jour, ils se posent, étonnés d'être toujours admirés.

C'est une femme en creux parce que les collines de sa vie auraient tant voulu être des montagnes qui rejoindraient le ciel.

Ainsi apprit-elle à marcher à petits pas, elle qui était chaussée des bottes de sept lieues.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



20/01/2016
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