BLOG D'ANAÏS par Gérard CABANE

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113 - LA NATIONALE 113

Je ne savais pas, non, je ne savais pas que ce serait la dernière fois, l'ultime rencontre avant son grand saut.

 

C'était en hiver, un sale hiver de vent, de pluie dure, de ciels monstrueux et de neige étouffante. Un de ces hiver moyenâgeux où les arbres sont tétanisés, les eaux gelées et les loups affamés.

Mais ce jour-là point de loups, au contraire, une sorte de trêve dans la guerre des temps, un plafond de nuages bas, inertes, presque doucereux et par moment une éclaircie comme si l'église du ciel se collait des vitraux pour rassurer ses fidèles.

Nous marchions lui et moi sur les allées sablonneuses remplies de feuilles mortes enroulées en tas au pied des platanes.

Nous étions au seuil de Naurouze, là où les eaux de mon midi se partagent dans l'amour, les unes attirées par les plaines du sud et la Méditerranée quand les autres se prennent de désir pour l'océan et la Garonne voisine.

Cette montagnette, car il ne s'agit que de cela, est le dernier bastion de la Montagne Noire voisine, celle qui récolte les rigoles qui dévalent de ses lacs, barrages et autres étangs tant ce lieu est au mitan de tous les climats et de tous les vents, mimosas ou belles-de-jour d'un côté et Lauriers ou Cocagne de l'autre. C'est aussi l'endroit trouvé par Riquet après de longues et longues recherches pour rencontrer son Graal, c'est à dire le point central du canal du Midi.

 

On est au cœur du Lauragais, à la césure de deux mondes, en équilibre entre les furies des vents d'ouest et l' Autan oriental et donc incertain.

C'est là où je vis, du moins dans une petite ville pas très loin d'ici et mon père  a voulu que nous marchions ensemble pour disait-il "s'ouvrir l'appétit" lui qui n'avait pas besoin de clé pour honorer la table.

Nous avions laissé la voiture sur le parking désert et nous nous dirigions vers le canal au milieu des bassins réservoirs, des retenues, des déversoirs et d'un moulin abandonné depuis bien longtemps.

Je le voyais à mes côtés, magnifique, blanc de cheveux, le nez au vent et respirant la vie, heureux de ce moment si rare entre nous.

Oui je le voyais s'étonner des jacasseries des corneilles et des engueulades des corbeaux qui troublaient le silence impressionnant des lieux.

Quelques mots entre nous, beaucoup de regards.

 

Je le sais maintenant, oui, je le sais bien trop tard, je l'ai loupé.

 

Je n'ai pas vu sa finesse, son intelligence mais aussi sa tolérance et sa pudeur, j'avais avec moi un père, je n'avais pas vu que j'avais un humaniste.

En fait, parti jeune, très jeune du foyer familial je me suis construit seul et il en est resté cette distance. Parti seul ? Non car je sais aujourd'hui qu'il veillait.

Et je le sais aujourd'hui, aujourd'hui seulement et ça, ça me fout bougrement par terre de voir ce que j'ai raté.

Plus tard, avant de rentrer nous nous sommes retrouvés près de la colonne construite en souvenir de Riquet. A ce moment là, il y eut un éclatement de nuages et au fond, tout au fond, un pan entier des Pyrénées enneigées nous est apparu.

Nous étions côte à côte et admirions cette offrande quand il mit sa main sur mon épaule et me dit "on est bien, tu ne trouves pas ?"

Deux mois après j'étais aux côtés de mon frangin et on l'enterrait.

 

Bordel de merde comme je voudrais encore lui dire oui, comme on est con quand la vie vous colle des œillères et que vous ne voyez pas que là, tout proche, à vous toucher, à vous étreindre il y a des êtres qui, disparus, vous font mourir vivant parce qu'ils vous manquent, juste parce qu'ils vous manquent....

Aujourd'hui je reviens régulièrement sur ces mêmes lieux, je marche seul dorénavant, j'arpente les allées, je vais jusqu'au canal comme nous l'avons fait, j'écoute le silence, je sens l'air qui me frôle et, quand je m'approche de la stèle de Riquet, je regarde toujours les Pyrénées.

Là dans la solitude du moment, dans ma tête, secrètement, j'ai des mots qui s'accrochent à mes pensées comme de simples tissus sur l'étendoir d'une vielle maison de campagne, et je lui parle alors.

Je murmure pour lui les non-dits de mon existence d'enfant, des paroles cachées et des choses intimes que seules les ombres qui m'entourent peuvent lui apporter.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



08/03/2017
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