BLOG D'ANAÏS par Gérard CABANE

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75 - DOUCEUR SIMPLE D'UN MATIN DE PROVENCE

Combien je suis sensible à la jeunesse d'un matin de printemps, à l'éclosion d'un bouton de fleur perlé de rosée et à  la voile translucide d'une toile brumisée où une araignée bien petite se balance au bout de son fil comme sur une escarpolette un peu fragile.

Et que dire du roucoulement amoureux d'une tourterelle pas trop sérieuse, des fragrances épicées de chênes verts mouillés, des bruissements secrets dans les taillis épais ou  du jaune à peine réveillé d'un soleil bien timide qui vient rassurer les cerisiers frileux ?

 

J'aime ces instants de vie, j'aime cette douceur et cette odeur de café et de cigarette qui se mélangent à l'air si léger, si transparent que le respirer encore est un étonnement. Des chuintements, des froufrous de chats en quête de nourriture et sous le tas de bois et de branches cassées je sais que les hérissons dorment épuisés par la nuit qu'ils viennent de passer. Des volets s'ouvrent, d'une fenêtre entrebâillée quelques notes de piano viennent s'accrocher dans ma tête comme des guirlandes délicates, je reconnais Gershwin et je me laisse aller à fredonner cet air si connu et qui a bercé toute mon adolescence.

J'aime ces " petits matins tout plein de lumière " comme le chante si bien cette comptine enfantine et dans cette journée qui commence je ressens le bonheur des matins calmes d'ailleurs.

Plus tard, sur la place de ma petite ville, à l'ombre des platanes parce que le soleil s'est déjà bien débarbouillé, j'écoute, je sens, je ressens et je frissonne.

Mes sens sont en alerte, mes yeux écarquillés et sous mon allure débonnaire je débusque la vie qui quitte ses vêtements de nuit. Des gamines le cartable dans le dos et qui rient comme des bossues qu'elles ne seront jamais car ce sont de petites princesses, des mémés mal fagotées  mais pomponnées comme des tsarines et qui partent, nez au sol, le cabas prêt à recevoir le repas du midi, un son de cloche, une sorte de fêlure qui jaillit du campanile aux torsades ouvragées servant de perchoir à des martinets joueurs, quelques touristes levés tôt pour éviter la foule alors que par ici, la foule, c'est plutôt en été, un couple de vieux qui vient prendre un  café et qui se tient par la main de peur que l'un perde l'autre et que l'autre soit éperdu, la fenêtre du Maire qui s'ouvre pour aérer la pièce et les garçons du bar qui commencent à s'engueuler, les portes de Notre-Dame-de-Romigier qui s'ouvrent dans un grincement moyenâgeux et là-bas, tout au bout de la petite place, un marchand de fleurs s'essaie à composer des bouquets de couleurs.

Je suis bien.

Quelques fois "on" me parle, "on" me dit le temps, les douleurs, les enfants, la mort d'un voisin, enfin quoi "on" raconte à quelqu'un qui écoute parce que vous comprenez, Monsieur, " si je sors pas un peu à qui je le dis tout ça " ?  Alors dans ces échanges impromptus, dans ces attouchements de mains pour se dire au revoir, dans ces dos bien voûtés qui regagnent des murs clos j'ai l'impression non pas de donner de mon temps mais de recevoir des histoires qui sans cela seraient déjà mortes.

Souvent pour faire durer le plaisir je prends un autre café et là peut-être viendront d'autres bonheurs comme ce couple d'un âge certain qui, s'asseyant à la table voisine, discute avec une passante qui s'est arrêtée. La femme parle un peu fort car tout le monde est sourd puis prend congé  après forces embrassades, tout cela dans une très grande convivialité. Puis la femme d'à-côté se tourne vers son vieux mari, attend que l'autre soit partie et lui dit en claironnant pas mal "celle-là il n'y a que la micheline de Digne qui ne lui a pas passé dessus". Le plus suave dans cette affaire fut le regard que me fit l'homme.

Le regard mais aussi le sourire.

La vie est tellement malicieuse qu'elle se sirote plutôt que de se gober à grands coups d'ogre et dans mes balades matutinales je cueille chaque brin, chaque parfum, chaque image.

Puis entre le silence de mon bureau et le fracas de ma tête, à l'abri de mes souvenirs, je viens tricoter ma laine pour mes soirées d'hiver. J'engrange, j'emmagasine, je thésaurise, je deviens écureuil jusqu'à ce que, le jour venu, je sorte de ma boite des personnages et des vies que vous croirez inventés alors qu'ils ne sont que réalités.

Dans la douceur des jours simples de la vie je puise à pleine main le bonheur et, pour ne pas que vous me traitiez d'avare, pour que vous ne pensiez pas que je veuille m'enrichir de tous ces joyaux qui nous entourent,  je vous les restitue afin que vous puissiez vous en pourlécher jusqu'au bout de vos envies.

 

 

 



27/05/2016
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