BLOG D'ANAÏS par Gérard CABANE

BLOG D'ANAÏS par Gérard CABANE

131 - BIENVENUE

On a tous, je suppose, une maison d'enfance dans le cœur, vous savez ce genre de lieu dont le  souvenir, au détour d'une odeur ou d'une image, vous revient dans la tête et vous rend nostalgique des êtres disparus et des moments de bonheur que l'on croyait éternels.

A vrai dire, dans ma mémoire, deux trésors s'imposent, deux endroits totalement différents et chargés, que dire chargés, succombant sous les rires, les confidences, les premiers émois ou bien les repas d'été qui finissaient sous des tilleuls, des chênes ou des micocouliers, la bouche grande ouverte et les yeux perdus dans des ciels d'enfance.

J'ai parlé ici dans ce blog du premier, Larnas en Ardèche, pauvre maison perdue, tout juste retapée mais si pleine d'amour et d'amitié.

Je souhaiterais aujourd'hui vous faire pénétrer dans mon second trésor, une maison plus riche, enfin une sorte de petit castel, une gentilhommière si vous préférez, avec un grand parc, des remises, une tour tout au bout de la propriété et une immense terrasse avec une vue époustouflante et dominante sur le Palais des Papes, le Rhône et Avignon, de l'autre côté du fleuve.

Cette maison a bercé ma jeunesse et un chapitre de mon livre "Les pantalons courts"  y est consacré mais aujourd'hui, entre nous, dans cette intimité que je partage avec vous, je voudrais vous en dire un peu plus et, notamment, cette fusion que j'ai eue avec elle et qui, sans que je le sache, allait grandement me transformer.

 

J'avais quatre ans, j'avais dix ans, j'avais dix-huit ans, je veux dire que "Bienvenue" - car c'est d'elle qu'il s'agit - a vu un garnement devenir adolescent puis homme et s'appuyer tout au long de sa vie sur le message qu'elle, mais aussi cette partie de ma famille, lui a transmis.

Alors, comme une petite musique de nuit ou dans des airs de Boccherini, revenez avec moi dans une époque perdue, belle époque où le bois pétille dans la vieille cheminée en hiver et les charmilles du parc offrent leurs ombrages denses mais légers pour les longues promenades d'été propices aux confidences.

La bâtisse est vieille - fin du XVIII ème - et en a conservé tous les aspects, seul un vieux chauffage chaotique fut rajouté à l'entame du XXème siècle mais pour le reste le Mistral se régale à l'intérieur, le clocheton tout en haut se prend régulièrement pour le bourdon de Notre-Dame quand le vent est joueur et les moustiques en été se tapent le festin du siècle.

Mais voyez-vous, il y avait la bibliothèque, le piano à queue, les verres à pieds et les assiettes provençales, les tapis et les fauteuils et rabassiers en quantité, la cuisine odorante des senteurs de mon pays, la musique classique toujours présente et pas de télévision, juste une radio pour ne pas être coupé du monde.

Bon c'est vrai, il fallait aller faire pipi dans la remise, derrière les voitures à pédales, les vélos, les outils et les armoires abandonnées, véritable parcours du combattant pour ceux qui avaient bu un peu trop d'eau fraîche sur des melons rigolards.

Je veux dire par là que cette élégance était un poil je-m'en-foutiste, quelque chose de désuet et de charmant, d'intelligence évidente et de gaucherie  craquante où le monde se refaisait à grands coups de Châteauneuf-du-Pape ou de Gigondas devant un lièvre ou un gigot préparés par mon oncle, frère de mon père et qui m'a refilé pas mal de ses défauts et qualités, notamment celui de me tâcher régulièrement à table.

J'ai là des souvenirs brûlants et je découvrais, enfant puis adolescent, que la vie est bien douce quand on discourt sur l'histoire médiévale, les mérites comparés de Faulkner ou de Steinbeck, l'origine de la pierre utilisée pour la construction du pont d'Avignon ou l'absolue philosophie, mais oui, de l'infinité des nombres.

Je me forgeais, j'apprenais, j'écoutais et surprenais aussi mon monde par ma connaissance des héros antiques comme des dieux parnassiens.

J'avais autour de moi une famille de profs, de profs universitaires, doyens et tutti quanti et dont le cancre que j'étais était le vrai petit canard de cette couvée de cygnes.

Oui mais voilà, je composais des poèmes et autres "pensées" personnelles et dans cette famille de matheux, tout en se demandant bien comment j'allais virer plus tard, on n'avait de cesse de me faire déclamer mes compositions. On me regardait comme un oiseau rare, du moins comme un singe sur la planète des hommes, mais on acceptait que je passe mon temps à rêver et à écrire pourvu, pourvu que, plus tard, j'obtienne mon bac.

Que voulez-vous, dans cette partie de ma famille, les diplômes c'est comme la Caisse d'Epargne, il vaut mieux en avoir, ça peut toujours servir !

Le soir je montais me coucher dans la chambre du marin tout en haut de la maison, sous le clocheton, chambre appelée ainsi pour les filets de pêches décorant les murs et non pas pour quelque corsaire venu se perdre sur les bords du Rhône. Là, tout gamin, j'avais la trouille, mais plus tard ce fut mon vrai refuge.

Le matin au réveil, je me gavais de confiture et de pain de campagne tout de même un peu dur, installé sur la terrasse avec sous mes yeux Avignon la belle qui soulevait pour moi ses jupes de comtadine dans un soleil de jeunesse. J'étais admiratif de ma ville, mille fois amoureux d'elle et, tout en renversant une nouvelle fois mon bol de chocolat, je courais jusqu'à la corniche en pierre qui enserrait la terrasse, je grimpais par un côté et, là, au centre du monde, pile face à Avignon j'envoyais avec ma main des millions de baisers d'enfant à celle que j'aimais tant.

 

Temps heureux que celui des gosses, temps chargé d'émotions tendres, temps formateurs aussi car j'ai plus appris là que partout ailleurs, temps suspendu avant le couperet de l'âge, temps si vite absorbé, avalé, vécu...

Temps guillotine.

 

Plus tard, bien des fois, je suis revenu à Bienvenue.

Puis, un à un, les gens sont partis dans le ciel, un peu comme une farandole qui s'épuise de tourner et de tourner encore et dont à chaque fois le dernier lâche la main de celui qui le tient...

La bâtisse s'est dégradée comme se dégrade notre époque, les arbres, les plantes, les fleurs ont subi le temps, sans entretien, sans l'eau rare, mon cousin propriétaire ayant d'autres chats à fouetter. La vie quoi, la vie qui bouffe le meilleur, la vie au rouleau meurtrier des rêves et des souvenirs, la vie sans vie.

Un jour, il y a trois ou quatre ans je suis revenu.

J'avais les larmes aux yeux, j'avais honte de ce que l'on avait laissé faire.

La vie, vous dis-je, salope de vie que j'aime.

 



12/08/2017
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