BLOG D'ANAÏS par Gérard CABANE

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116 - LA MAISON AU BORD DU CANAL

J'ai, ici, bien souvent parlé de trains qui se croisent, vous savez ces moments clés de la vie, du moins ces sortes d'espaces temps où certains êtres se rencontrent et, parce qu'ils vont un peu plus par là, ou un peu plus ailleurs, se loupent à jamais parce qu'ils n'osent pas, parce qu'ils ont peur ou parce que, tout simplement, ils sont devenus aveugles à force de côtoyer l'habituel quotidien qui les sécurise.

Evidemment d'autres, plus rares, savent "sentir" le bouleversement et osent se lancer changeant ainsi de cap ou de chemin et, pour tout dire de vie, renversant la table bien mieux que ne le feraient des poètes disparus qui ne savaient que monter dessus...

J'ai comme d'autres vécu cela et je dois dire que ma vie est jalonnée de balises qui font ce que je suis.

Mais aujourd'hui je ne vais pas vous raconter la rencontre réussie ou pas de deux êtres humains j'aurais, surtout aujourd'hui, matière à dire mais plutôt celle d'un lieu qui m'a littéralement aspiré.

Et, comme dans la percussion avec une femme intelligente et élégante, j'ai senti alors une véritable et profonde attirance qui ne tarda pas à se transformer en amour.

 

Je cherchais depuis des mois et des mois une maison dans le Lauragais dont j'ai dit ici toute l'attirance que j'avais pour cette région et je commençais à désespérer car ce que je trouvais me paraissait sans âme, vulgaire, ou trop éloigné ou trop urbanisé enfin quoi je ne sentais rien, n'étais attiré par rien et plus on me vantait ceci, plus je ne voyais que cela.

Cette affaire durait lorsqu'un soir, un soir d'hiver où la lumière était si triste qu'on ne la remarquait même plus, un soir où l'Autan avait décidé de souffler dans ses orgues les plus basses, un soir de fatigue et de pensées sombres où je sortais d'une maison de riche avec toutes ses dents en or en exposition, plus abattu que jamais d'être supposé acheteur d'un tel décorum, je traversais un fort vieux  pont et longeait le canal du Midi quand, au détour d'une péniche amarrée, je la vis, haute, blanche, solitaire derrière de vieux arbres déplumés qui semblaient avec leurs trous béants lui faire comme l'armure de Don Quichotte.

 

Ce fut un éclair et dans l'éclair, au loin, je crus voir un panneau qui pendait de guingois à la grille du petit jardin.

 

Vous voyez mes amis, c'est exactement cela des trains qui se croisent.

 

Je garais ma voiture sur la petite place ronde qui lui faisait face et, sans bien saisir que j'en deviendrais fou, je la regardais, fière mais aussi protectrice et quelque peu hautaine. Avec ces fenêtres en demi-lune elle avait ce sourire des vieilles dames qui, ayant été fort belles, ont gardé cette puissance d'attraction qui les rendent irrésistibles. Dans les rafales de vent qui secouaient les tuiles ocres, dans le bruissement des branches qui léchaient les murs blancs, je découvrais non pas une maison qui avait du charme mais une demeure avec tout ce que ce mot veut dire.

Une demeure, une assise, un point fixe, un abri, un ermitage pour qu'enfin sortent de ma tête le cœur vivant de ce que je n'ai pas encore écrit et qui irradie mes jours et mes nuits.

Tout cela je le sentais.

Elle, elle minaudait, se mettait sur son quant-à-soi, se la jouait pucelle quand je voyais bien les larmes qu'elle ravalait d'être laissée au tout venant. Et dans les lumières blafardes des lampadaires municipaux elle avait l'allure d'une Princesse qui monte à l'échafaud.

Quelques jours après je pénétrais dans elle et en parcourant son ventre j'ai su que c'était celle que je voulais.

 

Aujourd'hui, plus d'un an après, nous avons fait un mariage d'amour, elle soupirant de contentement à chaque fois que je caresse ses murs ou le bois de ses poutres et moi comme un couillon d'homme qui voit bien que sa belle ne respire que par lui je lui jure l'éternité, lui ayant promis que mon dernier regard serait pour elle et que je ne bougerais plus.

Et là, mais je sais que peut-être vous ne me croirez pas, au moment où j'écris ces lignes là haut dans ma pièce près du ciel, elle me sourit et j'entends comme des craquements de bonheur quand elle m'entoure de ses bras et qu'elle vient lire par-dessus mon épaule...



05/04/2017
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