BLOG D'ANAÏS par Gérard CABANE

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56 - NON JE NE VERRAI PAS LA BAIE DE PHANG NGA

Je ne verrai pas le Mississippi se jeter dans le golfe du Mexique.

Non, je ne le verrai pas.

Je ne verrai pas le fleuve Amour, ni la barrière de Corail, ni la baie de Phang Nga en Thaïlande ni encore le chemin des dunes en Namibie.

Non, tout cela je ne le verrai probablement pas.

Et au fond je m'en moque un peu car je n'échangerais pas les moments de ma vie intime contre d'autres, plus grandioses mais aussi plus partagés.

 

Je sais les flamants roses se poser sur le petit Barcarès un mauvais soir d'hiver, je connais cette odeur, cette irrésistible odeur du mistral quand il rebondit sur le village de Brantes avec ce mélange de senteurs d'oliviers, de lavandes et de genêts en fleurs. Je  n'oublierai jamais que j'ai été le roi du monde à six ou sept ans quand, à cheval sur une vieille borne frontière, j'avais un pied en France et un autre en Espagne. C'était au  pic Carlit je crois, dans les Pyrénées et ma mère était belle et jeune et vivante, si vivante.

J'ai vécu la plénitude à l'opéra de Vienne, sous la neige, un verre de champagne à la main dans des accords d'orchestre et des femmes en robes longues. J'ai parcouru le nord et le sud dans ma tête rêveuse et je me suis posé à Sancerre un jour de marché, à Albi un crépuscule d'été avec le rouge comme couleur cardinale, à Malte enlevée par Bonaparte en partance pour l'Egypte avec les femmes qui attendaient à l'entrée de sa tente, à Taxco dans ce Mexique pauvre où des vieilles en tissus chamarrés dansaient à s'épuiser sur une place poussiéreuse dans des odeurs d'enfer.

J'ai goûté des crottins de chavignol ou bien d'ailleurs, avalé des jus d'oranges à l'heure où les gens dorment, fricassé des cèpes, rissolé des sarladaises et ingurgité des quantités phénoménales d'huitres  Gillardeau à épuiser mon verre qui m'accompagnait parce qu'il ne savait rien faire d'autre.

J'ai bu à genoux des Meursault et des Saint-Estèphe mais aussi, en courant, quelques apéritifs offerts sur des coins de tables bancales, j'ai rencontré l'impossible et côtoyé des représentations divines où je ne savais plus si c'était une femme que j'avais dans mes bras ou son image céleste tant  le sourire était d'un autre monde.

Je me suis abimé les yeux à compter les étoiles et à pleurer tout gamin quand Leïla s'est perdue dans l'immensité des mondes, j'ai fixé ma mémoire, imprégné ma vie à chaque instant de ma vie car, enfant, je savais déjà que je n'aurais pas une deuxième chance.

Alors sur le grand destrier de mes envies, de mes désirs et de mes rêves grandioses, petits et intimes j'ai parcouru mon monde, paressant avec toi le long d'un canal  une main sur ton sein, dévalant les marches de toutes mes cathédrales, musardant dans Paris, Stockholm ou bien Madrid  à moins que ce ne soit dans des bastides fermées et des fortins imprenables dans des campagnes du bout des terres où tu m'attendais.

J'ai rêvé à Montségur, je me suis battu à Fanjeaux, j'ai été Cathare, j'ai été Grande Armée, j'ai été cour d'amour, j'ai été barde, j'ai été manant, j'ai été mousquetaire.

J'ai tant été tant de choses et tant de gens que si l'on m'enlève un morceau de l'un d'eux, un morceau seulement, je pourrais en mourir.

 

Alors non, je ne verrai pas le Mississippi, ni le fleuve Amour, ni la barrière de corail, ni la baie de Phang Nga, encore moins le désert de Namibie.

Non, je ne verrai pas cela.

Mais si vous saviez combien un envol de flamants roses un soir d'hiver dans ma Camargue déserte peut vous emporter le cœur.....

 

 

 

 

 



05/01/2016
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