93 - UN MATIN A TOULOUSE
C'était un matin, un matin d'avant Toussaint, un de ces matins coincés entre la fin d'un mois qui s'amourachait encore d'un automne douçâtre et le début d'un autre qui se doutait bien qu'il allait finir dans le glauque des jours d'hiver.
C'était un matin tôt, très tôt et le brouillard recouvrait la place du Capitole d'une chape humide et grise, comme un linceul inerte et muet. De loin en loin les lustres des arcades faisaient comme des lumignons irréels et lointains, clin d'œil fragile de la lumière dans un océan sombre.
Les balayeuses avaient commencé leur ballet pour nettoyer les restes de ceux qui dormaient maintenant le ventre plein et qui avaient laissé leurs détritus, idiots et sales de leurs égoïsmes forcenés. Plus loin, au début de la vieille rue Gambetta un clochard, oui un clochard de chez nous qui n'est pas aidé, pas assisté, pas recueilli comme la plupart de ceux qui viennent maintenant d'ailleurs, soulevait des cartons à la recherche d'une quelconque fortune pour vivre un peu mieux, juste un peu mieux.
Le bourdon de l'église du Taur cognait la demie de 7 heures et j'entendais celui de Saint-Sernin qui lui répondait comme si, dans ces moments de solitude, ils cherchaient à se reconnaître et à se saluer.
J'étais assis à la terrasse du café Albert, un des premiers ouverts et les garçons de salle qui commençaient à disposer les chaises à l'intérieur avaient des allures de fantômes à travers les glaces embuées.
J'étais bien.
Je fumais.
Et je sirotais un énième café que j'étais allé chercher au comptoir de ce vieux bistrot toulousain, loin des ors et cuivres de ses voisins trop bourgeois, trop puants de cet arrivisme qui fait qu'aujourd'hui "l'élégance" telle qu'elle est affichée maintenant n'est que la prétention à étaler ses moyens.
Les gyrophares des bennes à ordures faisaient le tour de la place et quelques cyclistes matinaux, emmitouflés et un peu gourds, partaient à l'aventure rejoindre les bords de Garonne pour s'offrir quelques plaisirs rares. Là-bas, émergeant des eaux et de la brume je savais que le soleil surgirait pour caresser le dôme de l'hôpital de La Grave avant de rebondir vers le quartier Saint-Cyprien où le marché déballait ses produits venus du Tarn, du Tarn-et-Garonne ou bien du Gers.
J'étais bien et je sentais confusément que cette ville était la mienne, que son histoire était la mienne, enfant du Rhône venu chercher ici mon Graal, ma quiétude et la sérénité, une sorte d'apaisement qui fait que les turbulences de la vie ne sont que des boucles qui vous enferment si vous ne levez pas les yeux pour chercher ce que vous avez toujours souhaité. Et moi, ce matin-là, j'ai su.
J'ai su cet amalgame de beautés, d'histoires et de modernismes réussis. J'ai su que j'avais plein de bouquinistes et de librairies qui m'attendaient dans les petites rues tortueuses mais aussi Airbus pour rêver aux étoiles, j'ai su les théâtres, les salles de concerts, les musées, la Cité de l'Espace, j'ai su que dans ma maison, là-bas sur les bord du canal du midi, j'avais trouvé ma place et que j'allais écrire, écrire et écrire encore car j'avais atteint mon port, mon terminus, bâtissant sur mon ordinateur des rêves de géants.
Alors je me suis levé, j'ai acheté deux croissants que j'ai donnés au vieux clochard avec un billet un peu planqué. On s'est regardé, lui étonné et un peu gauche moi con évidemment car j'avais un peu honte. Il y a tellement d'injustices n'est-ce pas, tellement.
Pourquoi lui ainsi, pourquoi moi là ?
Puis j'ai traversé le Capitole, je suis passé sur la plaque marquant l'exécution du Duc de Montmorency à Toulouse en 1632. Je suis resté planté un moment en me répétant encore pourquoi lui, pourquoi moi....
Arrivé rue Alsace-Lorraine le soleil commençait à gagner la partie, ô timidement, bien timidement mais je sentais bien qu'une fois encore il serait là.
J'ai levé les yeux.
Jai souri.
Les gens solitaires et sérieux que je croisais me regardaient comme si j'avais été inconvenant.
J'étais juste vivant, si vivant, si plein de vie et d'aventures.
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