126 - QUAND LA TERRE S'OUVRIRA...
Quand la terre s'ouvrira, mon âme me contemplera, là, au bord du trou, dans mon cercueil de bois quelconque.
Probablement, elle me dira de me carapater, de prendre la tangente, de foutre le camp enfin quoi, de ne pas rester là et d'arrêter de jouer au con, mais je serai coincé par quelques écrous bien serrés et puis, me dirai-je, de quoi s'occupe-t-elle puisque je serai mort ?
Je ne sais pas si vous le savez, mais mon âme s'est toujours comportée avec mon corps comme si elle en était la propriétaire ! Bon, c'est vrai qu'il y eut entre eux deux certaines accointances, mais quand même, au moment de la séparation de son église et de mon Etat, qu'elle fasse sa vie, qu'elle prenne le relais, qu'elle galope comme le fit mon corps en son temps et qu'elle cherche, si elle le peut, l'âme sœur.
Dans le magasin du ciel, ce ne sont pas les stocks qui manquent, non ? Bon je sais, c'est une chieuse, une élitiste, une de celles qui veulent le meilleur, le rare, l'absolu, une chieuse, vous dis-je !
En attendant, quand j'ai pris certains chemins, elle me faisait la tête, mieux même, elle ne me parlait plus et puis, parce que j'avais la chair coquine, elle revenait à pas menus, mine de rien, pour me dire qu'après tout je n'avais peut-être pas eu tort et qu'elle était prête à avoir l'esprit de corps.
L'esprit de corps, non mais de quoi je m'occupe? C'était surtout pour elle une façon comme une autre de participer aux agapes de ma vie, occupée qu'elle était à regarder continuellement par-dessus mon épaule, pour voir si je n'allais pas me casser la figure dans les carrefours que je ne manquais pas de croiser. Voire de provoquer.
Dans l'immédiat, et dans ce cimetière aux arbres magnifiques, j'en ai une qui parle quand l'autre est aux abonnés absents.
Pas facile de gérer tout ça au moment du partage des os !
Pour l'heure, les gens défilent, ça se mouche, ça balance des fleurs, ça touche du bout des doigts le bois de mon missile, ça conciliabule, ça soupire et, tiens, ça regrette, ça donne des assurances mais aussi des conseils dans le bruit incongru de certains borborygmes car c'est bientôt midi. Enfin quoi, lâchement, ça soupire d'aise de se savoir vivant et, mon Dieu comme c'est bon de respirer l'air de ce printemps tardif ! Oh comme il a grandi ce petit et des tonnes et des tonnes de petites piquettes du même tonneau qui n'est certes pas du vin de messe. Evidemment mon âme se gausse, planquée derrière quelques pâquerettes, se souvenant ainsi du temps où mes mains malhabiles les effeuillaient une à une devant le regard séduit d'une femme en fleur. Et puis, parce qu'elle est bienveillante mais aussi un tantinet inquiète, elle va rassurer ceux que j'ai grandement aimés en leur insufflant quelques mots inventés. Ceux qui les recevaient alors, reconnaissant leurs tournures, semblaient subitement rassérénés et, comment dirais-je, quelque peu étonnés en retournant leurs têtes, les yeux écarquillés.
Mon corps, lui, se morfondait.
Vous me direz qu'il n'avait pas grand-chose d'autre à faire, ayant suffisamment fait de son vivant, certaines d'ailleurs, assemblées autour de lui, pensant même, avec une pointe de regret, qu'il aurait pu faire encore.
Il se morfondait et quand on entendit le bois couiner lorsqu'il toucha le fond, mon âme en surprit plus d'un chuchoter à son voisin : "Quand même, un si grand trou pour un si petit homme" !
Le problème voyez-vous, dans tout voyage, ce sont les bagages et moi des souvenirs, j'en ai bien plus qu'une congrégation d'évêques peut en bénir, alors oui, j'ai besoin de place.
Le soir, quand tout fut désert, quand là-bas vers l'ouest, le soleil entama son appareillage vers la haute mer, quand les piafs commencèrent à se planquer sous leurs plumes, mon âme s'approcha de mon carré de terre et me dit :
- Bon c'est pas tout ça, il va quand même falloir que j'y aille, mais dis-moi, une dernière chose, à quoi puis-je distinguer l'âme d'une blonde de celle d'une brune ?
Et là, j'ai pas pu me retenir, que voulez-vous, c'était pourtant mon âme et elle aurait dû savoir, mais voilà j'étais mort et elle se sentait un peu perdue.
- Que tu es couillon, si tu y vas comme ça, tu vas ramer grave ! Ce sont des âmes féminines, tu entends : féminines ! Alors ne cherchent pas à les distinguer, ne cherche pas à comprendre. Laisse-toi porter vers elles, juste porter et qu'elles soient blondes, brunes, rousses, violettes, vertes ou que sais-je encore, laisse-les passer devant, et contente toi de les suivre et, si tu n'as plus leur parfum comme mirage, glisse-toi dans leur sillage et tu verras, oui, toi tu verras comme c'est beau une poussière d'étoiles.
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