BLOG D'ANAÏS par Gérard CABANE

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16 - AND THE WINNER IS.....

Elle était là, devant moi, et je ne la reconnaissais plus.

Au milieu de ces ombres qui déambulaient dans cette grande pièce "de vie" je ne la reconnaissais plus.

Les murs étaient décorés de statues vivantes aux bouches ouvertes et aux regards éteints qui fixaient sans la voir la télévision allumée. Il n'y avait pratiquement que des femmes et les rares hommes présents semblaient plus morts qu'elles.

Ce fut un choc quand, enfin, elle se retourna et que ses yeux se fixèrent sur moi.

Et je la vis.

Du moins je sus que c'était elle plus par mes tripes que par ma raison.

Mon Dieu, comme elle avait changé !

Affaissée, épuisée, fragile, tellement fragile et puis ce sourire, son sourire et mon prénom qu'elle chuchota d'abord et qu'elle répéta ensuite plus fort, bien plus fort, comme une victoire sur cette putain de vie qui la clouait au pilori des êtres sans mémoire.

Elle avait été belle, si belle dans sa jeunesse, si femme dans sa maturité, elle avait été si boursouflée de vie que les gens venaient vers elle parce qu'elle riait, parce qu'elle plaisantait et prenait la vie comme elle venait, c'est à dire avec insouciance. Cette même insouciance qui aujourd'hui devenait un fardeau, cette non conscience qui la dévorait lentement comme un crabe qui, évidemment, dévorerait la tête toute entière jusqu'à ce qu'il n'y ait plus rien.

Nous la prîmes tendrement par la main mon frère et moi et là, entourée de ses deux vieux gamins, nous  la ramenâmes lentement à la vie. Il faisait un temps très doux, comme une dernière caresse qui effleurait sa peau usée. Nous parlions, nous faisions "comme si" mais les regards que nous échangions lui et moi étaient douloureux et tristes.

Mon frère avait tout fait pour la retenir sur les rives de la conscience, il s'était battu en silence pour celle qui lui avait donné la vie et qu'il retenait tant qu'il pouvait aux berges de la mort. Mais dans ce Waterloo de la vie nous ne pouvions former maintenant que le dernier carré.

Oui, le temps était très doux et nous étions lui et moi assommés de la voir partir, seule, comme un vaisseau fantôme qui s'engage vers le large nous laissant impuissants et inutiles. Nous fîmes quelques pas, nous racontâmes le passé, nous testions sa mémoire et celle-ci jaillissait alors. Elle fulgurait d'un trait et nous nous raccrochions à ces ruisseaux de vie. La douceur du moment cachait notre désarroi de voir notre mère prendre son dernier virage et partir, comme ça, vers l'inconnu en souriant aux anges.

Et puis nous nous assîmes.

Devant nous la plaine et plus loin la ville, le fleuve, quelques collines, des odeurs de terre, des tintements de cloches, des bruissements, des échos, des murmures. La vie quoi, la vie dans tout ce qu'elle a de plus fragile mais aussi de plus prenant quand au milieu des rires de gosses une existence bascule.

Alors, comme une dernière barrière, comme si nous avions des armures, en lui tenant chacun une main, ensemble nous arrêtâmes le temps.

 

 

 



20/11/2014
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