BLOG D'ANAÏS par Gérard CABANE

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164 - LA MOUCHE CONTRE LA VITRE

Elle est debout devant sa fenêtre et regarde la mouche buter et buter encore contre la vitre noyée de pluie.

Elle fume en peignoir, les cheveux recoiffés, une tasse de café posée sur la petite table en acajou et, comme une voisine qui ne saurait se taire, la télévision décline ses conjugaisons habituelles.

Le matin d'hiver est glauque et la mouche tape contre le carreau.

En bas des passants se hâtent, parapluies ouverts, vers des destinations identiques, le pain, les légumes, les journaux et retour à la case départ.

Dans sa tête elle se pose la question du jour de la semaine, mardi, mercredi ? Oui c'est ça, mercredi car l'école maternelle est fermée. C'est bête ça, elle aime bien voir les parents quand les portes de voitures s'ouvrent pour laisser s'échapper leurs gosses. Oui, elle aime bien, ça tient bien vingt minutes de temps ça et puis elle laisse ainsi son imagination partir, ça lui fait comme un feuilleton, une sorte de transfert. Il y a une petite fille qu'elle aime particulièrement, elle se retourne toujours vers sa mère et lui fait au revoir de la main, toujours, tous les jours.

 

Mais là, ce matin, il n'y a que la mouche qui va et vient et revient encore, énervée par cette vitre froide.

 

Les grilles de mots croisés sont sur la table basse à côté d'une bonbonnière. Elle aime les bonbons, un peu trop peut-être. Une revue féminine a glissé sous le napperon provençal juste à côté de la petite pendulette dorée dont les aiguilles, parce qu'elles se foutent du temps, prennent beaucoup de temps à faire le tour du cadran.

Ce n'est pas un orage qui passe sur la ville, non juste un mauvais crachin qui enveloppe tout, un suaire d'eau grise qui semble infini, une mer moutonneuse dans un détroit de béton. Tout à l'heure son fils viendra lui apporter les courses, il ne mangera pas avec elle, c'est comme ça, c'est toujours comme ça, mais il restera un peu, le temps de boire un verre tout en regardant sa montre. Enfin quoi, c'est son habitude.

 

C'est bête une mouche à se cogner sans cesse contre les vitres !

 

Elle regarde cette petite vie en se disant qu'elle aurait dû ouvrir la fenêtre  pour la faire partir, oui c'est vrai, mais l'eau aurait trempé le parquet et peut-être aussi le tapis d'Ispahan qui date d'une autre époque, une époque où elle riait, aimait et avait des cheveux si beaux. Elle ferme les yeux en finissant son café froid et elle entend sa voix quand ils avaient vingt ans, elle revoit son regard, elle sent sa douceur et soudain il fait un peu plus froid. Alors l'envie arrive une fois encore. Elle va éteindre la lucarne et met un cd de Mouloudji. " Un jour tu verras" entend-elle pour la millième fois et elle retourne devant la fenêtre en balançant légèrement son corps comme s'il la tenait dans ses bras.

C'était son homme, c'était sa boussole, il aimait les coquelicots, il aimait l'embrasser, et puis voilà, maintenant… "un jour tu verras on se retrouvera". Et ses yeux bêtement regardent le ciel qui n'existe plus derrière la multitude de perles grises et froides.

 

La mouche se fatigue, se pose et repart, elle s'affaiblit, elle s'épuise mais à chaque fois elle revient et cogne, cogne, cogne encore.

 

Il est bientôt dix heures, il faut qu'elle se prépare, qu'elle se fasse sa tête, un peu de couleurs, un peu de rouge, un peu de vie quoi, il faut qu'elle soit présentable pour que son fils ne s'inquiète pas trop, elle ne veut pas être un souci, juste attendre que le moment arrive et alors peut-être elle le "retrouvera", si beau, si jeune qu'elle en frémit encore après tant et tant d'années. Ses yeux suivent la petite bête et la petite bête est sur un rebord du carreau et ne bouge plus.

La pluie lentement continue son jeu d'enfermement et, des toits pentus, l'eau ruisselle de plus en plus en dessinant des flaques aux formes imparfaites.

Tout doucement elle va vers la salle de bains.

Une autre journée commence et elle est prête à la surmonter.

Quand elle reviendra, un peu transformée, un peu plus "vivante", enfin quoi, prête à jouer le rôle attendu, elle trouvera la mouche morte, par terre, si petite, si dérisoire, si seule.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



03/06/2018
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