168 - LA MESANGE, LA TOURTERELLE... ET MOI.
Récemment, un matin, un matin très tôt, vous savez un de ces matins où, vous réveillant, la tasse fumante dans la main et la première cigarette dans l'autre, un matin où, après avoir lu quelques pages d'Aragon et de Kafka ou bien de Kipling ou encore Nabokov, enfin quoi un "matin tout plein de lumières" comme le dit la chanson enfantine, je me suis retrouvé sur ma terrasse face au canal du Midi.
Cela sentait le Tilleul qui abaissait ses branches comme l'hommage du vassal au suzerain, la terre respirait par ses mille petites fleurs qui pointaient un nez timide et le cerisier trop jeune et encore bien fragile se préparait aux lourdes chaleurs qui s'annonçaient rudes.
Le mûrier de Chine et le mirabellier croulaient sous leurs fruits rouges ou jaunes, les roses avançaient leurs lèvres à la rosée fraiche, se dévisageant entre elles comme des stars sur le tapis de mon cinéma privé et là-bas, tout au fond, l'olivier commençait à étaler ses premières promesses avec les langueurs d'une vieille dame faisant sa toilette.
J'étais là, un peu endormi, respirant les fragrances odorantes comme un dealer le fait avec son rail et curieux du mécanisme de la vie qui se mettait en place devant moi.
J'observais notamment une petite mésange qui était venue faire ses ablutions sur les bords de ma fontaine. Enfin, quand je dis "une" il m'était difficile de savoir si c'était un Monsieur ou une Dame sous sa chemise de nuit en plumes mais devant son élégance je lui décernais ce titre car elle en faisait des tours et des tours avant de plonger le bec et elle avait, en écartant une aile, cette timidité fragile qui sied aux gens bien nés.
Elle était tranquille, elle était jolie et les deux poissons rouges qui frayaient en douce sous les pierres immergées ne pouvaient manquer son ombre qui se découpait sur la surface de l'eau.
Moi j'étais aux premières loges, je me taisais, je faisais silence goûtant sans retenue cette offrande matutinale.
Oui mais voilà, dans toute comédie il y a l'imprévu, le mari qui revient, la mort du canari ou le jupon de la Marquise qui prend feu, enfin quoi le "rebondissement" qui fait que plus rien ne sera comme avant. Et sur ma scène privée le "rebondissement" fut la tourterelle.
Car c'était une tourterelle, la petite femelle du couple qui nichait dans le sophora du Japon, celle qui roucoulait chaque jour sous mes fenêtres et qui, de son cou langoureux et bagué de noir, avait su alpaguer un mâle besogneux.
Elle venait aussi dans la salle de bains mais son vol plané fut si long et si subit qu'elle percuta la mésange, l'envoyant pour le coup de la douche à la baignoire.
Alors, pendant que l'une en gueulant faisait tout pour sortir à grands coups de petites ailes du piège ouvert mais pas vraiment maléfique, l'autre, élégante et un tantinet je-m'en-foutiste, se la jouait diva en se gargarisant le gosier dans des dandinement de femme enceinte.
Ce fut comme le refroidissement du fût du canon, c'est à dire que cela dura un certain temps, puis, la grande reprit son envol quand la petite, fort marrie et grimpée sur une pierre émergeante se la joua Robinson, étalant et resserrant ses ailes pour que le soleil ami lui serve de serviette.
Cette petite histoire vécue n'est pas de la grande philosophie, encore moins un projet d'avenir.
Quoique….
Quoique, si l'on y regarde bien, nous ne serons plus sur terre alors que cette histoire se répètera encore. Et donc qu'importe la fureur du monde, les avanies sur les réseaux sociaux, les envieux, jaloux et autres niquedouilles, qu'importe le bruit qui résonne et qui attire les foules quand, dans le silence et la simplicité d'un matin d'été, on tutoie le bonheur ?
Chacun est Candide et la tourterelle ou bien la mésange se foutent parfaitement de la fureur du monde.
Elles vivent et sont bienheureuses, vraiment bienheureuses avec quelques arbres, un peu de soleil, quelques vers ou quelques fruits et des voisines pas trop envahissantes quand ces dernières ne se loupent pas à l'atterrissage.
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