BLOG D'ANAÏS par Gérard CABANE

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178 - L'ARMEE DES OMBRES

L'hiver s'avance masqué sous la douceur automnale et je devine son rictus sous les petites pluies froides qui pénètrent, ici ou là, les âmes et les cœurs.

Je n'aime pas l'hiver, je n'aime pas cet endormissement de la nature même si je sais qu'il est nécessaire, comme une diète après les folles orgies solaires.

Oui mais voilà, j'aime la naissance du printemps qui précède les rafales chaudes, j'aime ces moments d'éveils, j'aime le bleu, le jaune, les soirs rougeoyants, les roses languissants et le vert des collines rondes.

Mais là, aujourd'hui c'est le noir qui s'avance et je n'aime pas le noir, sauf peut-être pour les robes des femmes. 

 

La nature se momifie, les chemins se sclérosent, l'air devient tranchant et la vision du monde autour de ma maison se floute d'une bruine régulière et vicieuse comme une gamine mal élevée qui me ferait un pied de nez. Et, dans les forêts désertées, les arbres se dénudent comme des pénitents qui auraient trop aimé la vie.

Leurs branches s'écaillent, les troncs frissonnent et là-haut, tout en haut, leurs rameaux faméliques leur font des doigts de sorcières.

C'est toute une armée d'ombres qui envahit la terre, une bande de soudards qui se joue de Morgane, une roture vengeresse à l'assaut des chênes nobles aux pauvres armures de mousse.

Lentement, inexorablement, c'est l'enfermement, une chappe grise et uniforme qui emporte avec elle la douceur des beaux-jours ne laissant derrière elle que les souvenirs perdus des parcelles de joie si lumineuses et tendres.

Alors l'homme se recroqueville et met un genou à terre en priant que la rigueur ne soit pas la dernière.

Il allume des contre-feux, des carnavals, des noëls ou des chandeleurs mais derrière les panses qui s'agrandissent comme les joues d'un écureuil, derrière les sarabandes et les gavottes aux pieds levés, il coche chaque jour qui passe et qui le rapproche un peu plus du renouveau.

L'hiver pour l'enfant du Sud que je suis c'est la banquise à ma porte.

Et, derrière les craquements des glaces qui se chevauchent, je n'entends plus ma mésange amoureuse ou mes tourterelles folâtres mais des corneilles ricaneuses, des nuées de corbeaux sardoniques ou des agasses effrontées qui tournent et virent et tournent encore, enchaînant un ciel si bas qu'on croirait qu'il se couche.

Tout est statique, tout est racorni, desséché, tout est immobile comme si le film de la vie s'était arrêté parce que le monteur avait déserté.

Les fleuves sont pourpres des limons qui remontent, les pierres s'assombrissent bouffées par le lichen et les neiges qui s'abandonnent sur les pics faméliques sont comme des drapeaux blancs que la nature défaite brandirait pour que tout cela cesse enfin.

 

Parfois, rarement, un soleil vient voir le champ de bataille.

Il arrive sur la pointe des pieds, écarte quelques tentures de nuages sombres, donne un coup de projecteur sur la scène désolée et repart bien vite de l'autre côté du monde retrouver un public un peu mieux averti. Il attend, il attend son heure, il sait que son absence deviendra de plus en plus difficile à supporter. Parfois, rarement quand même, il accepte d'offrir quelques rayons de redoux, mais c'est pire encore car les retours de l'hiver sont comme les armées en déroute, elles tuent pour se venger.

 

Moi je survis.

Je m'enferme, je m'isole, je me réchauffe le cœur aux braises de mes mots, je pense et réfléchis, je fais des plans sur la comète, enfin quoi je prépare en plein écran mes frasques à venir, j'en fais des réserves, j'empile, je stocke, je thésaurise et, dans la nuit de ma pièce fermée, brillent alors les immenses lumières de mes soleils intérieurs.

 

 



09/10/2018
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