BLOG D'ANAÏS par Gérard CABANE

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179 - LE VOL DES OIES SAUVAGES

Le silence était partout et les nuages blancs qui, les uns après les autres décrochaient du ciel,  venaient se coller sur les premières pentes des Pyrénées, sombres et frileuses pierres se préparant aux temps de glaces.

La pluie menaçait, le froid menaçait, l'hiver menaçait, et dans les plaines recroquevillées et les chemins encaissés, quelques cheminées commençaient à tousser des pompons de fumée qui grimpaient en file indienne.

Pas d'air, pas de vent, pas de frôlements d'odeurs, pas de mouvements, juste ces nuages qui se cognent et cette impression de tristesse, d'enfermement et de solitude.

 

Dans les platanes aux feuilles roussies qui longent le canal j'entends les battements d'ailes de corneilles étrangement silencieuses et, au loin, bien loin sans doute, le passage d'un train qui file vers la Méditerranée me fait lever le nez en l'air, comme si, aveugle et immobile, je cherchais à comprendre ce que je ressentais. Tout est suspendu et, dans ce changement de temps qui annonce d'autres temps plus rudes, il flottait sur les champs déserts et les prairies faméliques de fines traces de brumes, voiles déchirés aux allures squelettiques.

J'étais à l'écoute, j'étais en veille, j'étais aux aguets, homme perdu dans un monde minéral et les rares clapotis de l'eau, les éphémères gloussements surgis des baies décharnées, les quelques bruits modernes qui venaient des routes voisines me paraissaient être des adieux aux  jours insouciants de l'été.

Je me suis assis sur un banc glacé, j'ai allumé une cigarette, j'ai enfoncé mon chapeau sur ma tête déplumée, j'ai frissonné dans ma veste de peau et j'ai laissé mes sens me raconter la vie.

Même là, surtout là dans ce désert de lumières fragiles, j'avais besoin de la sentir, de me savoir vivant, gardien d'un monde qui se perd à vouloir aller trop vite.

La mélancolie qui m'entourait, qui me cernait en réalité, me rendait plus fort.

Alors dans ma tête j'ai écrit quelques mots, j'ai dessiné quelques images, je me suis murmuré quelques phrases, j'ai fredonné quelques paroles, des murmures sans suite, des ancrages de mes ports intimes. Et tout doucement les feuilles mortes tombées dans l'eau verte s'en allaient s'échouer sur des rives de misère. Et tout doucement, dans ma tête et dans mon corps je revivais mes vies.

J'étais bien et les frissons qui me parcouraient me faisaient une armure.

 

Et puis, imperceptiblement, un chuintement se fit entendre, une sorte de soufflet aux tons lents et espacés, des battements de cils qui viendraient me prévenir.

Je levais les yeux sur l'immensité grise et je les vis.

Enfin je les ai devinées tant elles étaient discrètes.

Et je suis entré en communion.

Elles étaient si fines, si féminines, si gracieuses, si élégantes.

Si élégantes…..

Une douzaine d'oies sauvages allaient chercher les soleils des terres chaudes, les douceurs ocres et sucrées des rivages de guimauve, là où, même la nuit, les étoiles se prennent pour des astres de feu. Elles cadençaient l'air d'un mouvement ample et constant, l'une en tête et les autres en éventail. A la suite, un peu en retrait, une ou deux peinaient à suivre le ballet. Ou peut-être simplement voulaient-elles ralentir le groupe, regrettant de quitter mon pays de cocagne….

Elles me survolèrent, à l'aplomb de mon banc et moi, pauvre homme pétri de Descartes, de Montaigne et de quelques autres, je les ai enviées.

La liberté ne peut être que sauvage.

 



24/10/2018
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