BLOG D'ANAÏS par Gérard CABANE

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181 - LA CASSURE

Un jour, un seul jour de sa vie a transformé sa vie.

Elle avait dix-neuf ans et, quand il l'a prise dans ses bras, quand ses lèvres ont pris ses lèvres, quand son regard s'est posé sur elle, ce jour-là précisément, ce jour et pas un autre, elle sut que l'homme qu'elle attendait, celui qu'elle espérait, cette ombre permanente qui peuplait ses nuits et ses rêves, l'avait rencontrée.

Alors, attirée, charmée mais aussi tremblante et tellement confiante, ivre de bonheur, elle se donna.

Pendant des mois et des mois elle flotta, heureuse, conquise, bercée d'avenir, gourmande de découvertes.

Puis, parce que c'était un homme en devenir, parce que tous les hommes même ceux en devenir sont rustres et incertains, il la quitta et elle s'effondra.

Elle ne le poursuivit pas, ne le relança pas, ce fut le silence qu'elle garda et qui allait durer toute sa vie.

Mais il était là, dans sa tête et dans son corps, il était là si présent, si immensément présent qu'elle mit presque deux ans à s'en sortir, pas à s'en remettre, de cela jamais elle ne le put, mais juste  s'en sortir et relever autant que faire se peut ce qui lui restait de vie animale, manger, dormir, travailler, faire comme si….

 

Pendant longtemps aucun autre homme ne put la toucher, c'était un fortin, un bastion retranché, une opération survie. Puis un jour, un homme plus pressant, plus tenace, plus amoureux sans doute, en tous les cas plus présent et solide, abattit ses barrières et, pour la première fois, investit cette place gangrenée par un immense amour perdu.

Il la maria, lui fit des gosses, l'installa dans une maison isolée et, lentement, elle recommença à respirer.

A respirer jusqu'à l'aimer, elle qui était faite pour un seul. Mais l'amour était différent, plus craintif, moins explosif, une sorte d'océan à peu près limpide où les vagues n'étaient que de circonstances, elle qui avait connu des alizées si puissants, si chauds et surtout si permanents.

Et toujours, toujours à certains moments de sa vie quand elle broyait du noir, elle ressortait de vieilles photos de l'amour, son amour, clichés qu'elle avait gardés cachés parce que c'était le dernier lien, le seul souvenir tangible qui lui confirmait qu'elle n'avait pas rêvé. Alors elle les embrassait, elle lui parlait comme s'il était encore là et repartait après dans sa vie, comme un drogué qui a sniffé sa ligne de coke.

Elle fut heureuse sans nul doute, mais ce bonheur était marqué par une bien longue cicatrice qu'elle trimballa jusqu'au bout de sa vie, comme si, souriante et vieillissant bien, elle quittait le masque le  soir en se démaquillant.

 

Si je vous raconte cette histoire c'est pour insister sur cette éternelle ambiguïté que sont les hommes qui, tout en affirmant l'amour, le rejette comme un papier usagé une fois que, repus et sans vergogne, ils découvrent d'autres territoires . Les femmes, à l'inverse, vibrent sans cesse, ne se partagent pas, mais meurent sur pied, la tête droite et le cœur en éclats, comme ces coquelicots fragiles qui ont cru au soleil et à sa permanence éternelle. C'est aussi pour que ces mêmes mâles qui me liront peut-être sachent que prendre c'est construire, embellir mais aussi fortifier et non pas détruire.

La solidité d'un homme ? Ce ne sont pas ses muscles, ni ses coups de gueule, encore moins ses exploits passés ou à venir mais bel et bien le respect de ce qu'il a promis.

La fragilité des femmes ? Eh bien justement c'est qu'elles ont pour la plupart d'entre elles ce qui manque aux hommes, cette persistante volonté au soutien de l'autre, même et surtout contre vents et marées. Se donner pour elles n'est pas seulement un acte charnel, c'est un engagement alors que tant de leurs conjoints partent à reculons.

Parce que c'est plus facile, parce qu'ils ne veulent pas voir.

Lâches quoi.

 



12/11/2018
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