BLOG D'ANAÏS par Gérard CABANE

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185 - UN CONTE DE NOËL....

C'était pendant une nuit d'écriture.

J'avais écrit, écrit, écrit et je sentais bien la fatigue qui me tenaillait.

A vrai dire j'étais entre deux eaux, encore vivant mais déjà emporté par un insoupçonnable besoin de m'envoler, une sorte de lévitation au-dessus de moi-même.

Alors je me suis levé, j'ai posé une capsule de café dans la machine, j'ai mis la symphonie d'Elgar que j'aime tant et j'ai allumé une cigarette en faisant quelques pas, pieds nus sur les tapis de ma pièce.

Et puis parce que j'étais bien, parce que les mots continuaient à courir dans ma tête, obsédants, entêtants, je me suis posé sur un fauteuil et j'ai ouvert ma salle de classe.

 

Ce fut une nuée, un essaim silencieux, les lettres se sont envolées comme des papillons sortant de leurs chrysalides, elles s'éparpillaient, sautaient les unes au-dessus des autres et j'en ai même entendu une - le C ne soyez pas étonné, il toujours la bouche ouverte - qui disait en riant, "chouette, c'est la récré". Certaines firent une sacrée farandole, accrochées à la pointe du S qui essayait d'en rameuter d'autres. Je voyais le M  et le N sauter à la corde dans des envolées de jupes et le Q toujours un peu solitaire qui cherchait son U lequel sifflait dans un coin la bouche en cul de poule.

J'étais ébahi, mon café refroidissait, la cendre de ma cigarette avait maculé ma chemise mais mon émerveillement était fabuleux !

Comment , me disais-je, comment ? Suis-je donc endormi ?

A ce moment-là le L me caressa la joue, un frisson de plume, un soupçon de délicatesse, puis le W, ahanant et un peu poussif se lova à mes pieds, le T vint se suspendre à mon nez, ils riaient tous, mais qu'est-ce qu'ils riaient, c'était des cascades et des cascades de joie !

Mes lettres étaient gamines, petites filles en devenir et, parce qu'elles étaient gamines, elles s'amusaient sérieusement.

Quelle bataille de ballon prisonnier  firent-elles ! Quel sacré numéro de chat perché ! Jusqu'au H toujours un peu hautain qui se tapait sur les cuisses alors que le J tout fluet lui disait, caché derrière le A aux pentes raides, "arrête, arrête, je vais faire pipi !".

Et toutes de s'esclaffer, toutes de glousser, le B aux gros bidons, le Z un peu moins endormi que d'habitude et le G, ah le G, si fier d'être la première lettre de mon prénom et qui se la pète un peu quand même.

 

Je m'étais levé, j'avais ouvert mes bras, j'avais ouvert mon cœur et nous étions si bien ensemble.

 

Et puis, je ne sais pas pourquoi, elles firent silence.

Elles se regroupèrent derrière le F droit comme un I. Je vis le K mettre ses bras en conque pour les rapprocher, le R râlait comme d'habitude et le X toujours pratique lui servit de trépied.

Elles complotaient oh oui elles complotaient !

Je vis le V renversé comme une brouette et le E qui de ses bras le poussait  pour apporter des petits bouts de papier.

Quelques gloussements s'échappèrent du groupe, des regards se tournèrent vers moi, notamment le Y un peu bigleux, le P très protecteur et le D bien rond de cuir.

Puis mes lettres s'alignèrent les une à côté des autres, toutes me fixaient, toutes. Et quand elles levèrent leurs petits bout de papier c'est un O qui s'inscrivit sur leurs bouches souriantes.

Et là, dans la lumière douce de ma vieille lampe, dans les derniers soupirs des violons d'Elgar, je lus le cadeau qu'elles m'avaient préparé pour Noël.

C'était des mots bien sûr, que voulez-vous qu'elles m'offrent d'autre ?

Oui, des mots, mais pas n'importe quels mots.

Au-dessus de leurs petites têtes savantes, sur ces petits bouts de papier un peu froissés et d'une écriture aussi illisible que la mienne, chacune avait écrit " je t'aime tant tu sais".



16/12/2018
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