BLOG D'ANAÏS par Gérard CABANE

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90 - ROMANTISME

J'avais huit ou neuf ans à peine et les filles étaient sur chacune des deux  balançoires.

Moi je ramassais des pâquerettes.

Je faisais tomber les pétales une à une et quelques fois même je trichais pour arriver au je t'aime à "la folie". J'avais toujours un gros problème puisqu'elles étaient deux et inséparables, alors je leur disais que j'avais un grand cœur et que j'avais beaucoup de place dedans.

Je ne voulais pas blesser, pas faire de mal, mais aussi je les voulais heureuses, juste heureuses.

Alors nous riions et ma punition était que je les pousse encore et encore, servant simplement leurs envies de soleil.

C'était l'été, j'avais des pantalons courts et elles des jupettes de couleurs avec des socquettes blanches.

Plus tard, gamin encore je devais avoir onze ou douze ans, je me suis battu à la sortie du lycée Henri IV de Béziers parce qu'une bande de garçons se moquait d'une fille que je connaissais à peine. Elle n'était pas très jolie avec ses lunettes de myope mais ce fut une impulsion. Je pris une sacrée raclée car j'étais seul et ils étaient plusieurs pendant que ma rescapée s'enfuyait sans un regard pour le gueux qui vomissait dans le caniveau.

Je me souviens que lorsque je suis rentré chez moi avec des bleus et la chemise déchirée ma mère avait passé sa main dans mes cheveux et m'avait dit "c'est bien" en apprenant ce qui m'étais arrivé. Elle avait un regard que je n'oublierai jamais.

Adolescent il m'est arrivé pas mal d'histoires de ce type où je me voulais chevaleresque, un peu concon parfois, certainement même, mais avec quelques jolis petits bonheurs aussi. J'étais fabriqué ainsi, porté par mes lectures, mes rêves et ce que je croyais bien.

Je m'abimais dans Rimbaud, Baudelaire, Musset, Chateaubriand, Nerval mais surtout Whitman, j'étais emporté par les cours d'amour, côtoyant l'inaccessible et voulant le toucher, voulant le vivre.

L'année 1968 au fond ne fut pour moi que la traduction de mon imaginaire, Bayard des pavés, Roland de la dernière bataille.

Et puis la vie, la vie qui formate, la vie qui meule le grain des rêves, la vie dans toute sa splendeur, je veux dire dans toute sa forfaiture, la vie qui uniformise et aseptise.

Oui mais voilà j'avais un "grand cœur" et ça, la vie, elle ne me l'a jamais enlevé.

Je fais partie des hommes qui aime le langage des fleurs, d'ailleurs j'adore recevoir des fleurs. A ce sujet je reçus un jour pour mon anniversaire un magnifique et énorme bouquet d'œillets rouges. J'adore les œillets, fleur qui se perd aujourd'hui - essayez d'en trouver chez le fleuriste - mais qui était à une certaine époque le symbole du combat, les duellistes les portant à la boutonnière avant de laver l'affront. Ce genre d'attention me marque beaucoup plus que n'importe quel geste et je fais partie  justement de ceux qui font  "attention".

Dans notre monde d'aujourd'hui où tout est immédiat, où tout se consomme sur le "zinc" y compris et surtout l'amour, où l'honneur et l'élégance sont des mots qui ne font plus partie du vocabulaire du quidam moyen, où l'on dit tout et n'importe quoi pour paraître, apparaître avant de disparaître, je ne trouve pas ma place et j'en suis heureux.

C'est cela que la vie ne m'a pas enlevé, cette volonté de vivre mes chimères de gosse, ces "chimères" qui peuvent prêter à rire et qui sont pourtant ce à quoi nous avons cru, enfants ou adolescents, ces âges fondateurs avant la régression.

Le romantisme se vit tous les jours, essayez, vous verrez combien  l'espace est plus grand, plus élevé, mais aussi combien il est vivifiant de vivre autrement que ce que l'on nous propose.

Notre époque à trop vouloir étaler des rêves "accessibles" tue l'imaginaire en donnant à la masse la même tambouille et je suis trop gourmet d'amour pour devenir glouton, vorace et quelque part obèse des consommations faciles.

Le romantisme c'est avoir une certaine idée de l'autre comme ces chevaliers qui, ramassant le fichu jeté dans la lice, le portaient au plus haut de leur lance et ne s'en défaisaient jamais.

Utopique ?

Non, juste un mode de vie qui s'éteint tout doucement.



02/10/2016
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