BLOG D'ANAÏS par Gérard CABANE

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188 - MES NUITS BLEUES

C'est une nuit comme je les aime, une nuit de silence où  le seul bruit des touches de mon clavier rythme le pas des mots qui s'inscrivent sur l'écran blanc, miroir moderne de mon âme venue d'un autre temps.

C'est une nuit parmi d'autres, une nuit de plus, une nuit qui va mourir bientôt dans les déchirements gris d'un petit matin d'hiver.

Je suis bien.

Et, dans la lampe douce qui fait sa roue de lumière, la fumée bleue de ma cigarette blonde s'enroule comme une amoureuse pudique qui attend que j'éteigne et qu'il fasse nuit.

Au- dessus, sur la grande poutre qui traverse ma pièce, une cohorte d'éléphants, des dizaines et des dizaines, se suivent, des petits amusants, d'autres plus massifs. C'est ma collection de gosse, un fouillis de pièces rares et d'objets qui ne valent rien, des souvenirs, des cadeaux et chacun dans sa posture figée ma rappelle celle ou celui qui me l'a donné.

Une tasse de café, un verre de Perrier, une fiole de parfum vide, "Ventoux" offert par mon frangin, des papiers, des papiers de partout, un bouquin posé là en mal de relecture, Aragon et ses "communistes", un coupe papier inutile mais qui m'a suivi du temps où il était utile, un bric-à-brac de crayons, gommes, calculette et au bout, tout au bout du bureau, un point fixe, une sorte de talisman au milieu de mes grigris, une pierre et sa rosace qui vient de la chapelle d'une  cour de lycée où j'étais en pension.

Oui, une chapelle dans un lycée, comme un symbole de ce qui fut et ne sera jamais plus.

 

Par moment j'entends des grattements, là-haut au-dessus de ma tête. Ce sont les tourterelles qui se posent sur le toit et attendent les premières lueurs du jour pour venir boire à la petite fontaine, tout en bas dans le jardin.

Je me suis accordé une pause avant de continuer à vider ma tête des images et des éclairs permanents qui se sont accumulés.

Mon café est froid, j'ai sommeil mais je résiste.

Je suis un condamné qui sait que le temps compte et j'aime sentir la fuite du temps. Je me fais voleur, je me fais voyeur et vous ne pouvez pas savoir combien est forte cette sensation de celui qui veille quand les autres sont assoupis. Une sorte de revanche peut-être, un clin d'œil de vivant.

Ou bien alors, tout simplement, la révolte d'un simple.

 

Ma tête divague, ma tête s'enfuit.

Elle est avide d'espace et d'illimité. Elle est plus grande, oh bien plus grande que mon petit corps malade.

Ma tête me joue des tours et me fait des entourloupes, elle me conduit aux rives extrêmes, là où les bonheurs rares se conjuguent au pluriel. Alors je me répands comme dans un champ de narcisses, je me roule dans mes odeurs perdues, je revois des sourires, j'entends des chansons, je ressens des émotions et me retrouve à genoux avec le monde que j'aime et, dans mes yeux, le brillant des hommes heureux.

Ma tête au fond est ma sauvegarde.

 

Et puis, fatigué, un peu hagard sans doute d'avoir tant voyagé, je reviens sur terre, enfin quoi dans mon bureau.

Je retrouve mes marques, mes repères, ma cigarette consumée.

Sur l'écran, sans comprendre, sans savoir comment, des mots sont alignés, des phrases sont composées, une histoire s'est déroulée...

Et je ne l'ai pas fait exprès.

 

 

 



14/01/2019
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