BLOG D'ANAÏS par Gérard CABANE

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197 - UNE VIEILLE FEMME SEULE...

Elle va de la cuisine au salon, du salon à la terrasse et retourne au salon.

Elle arrange une rose du jardin dans un vieux vase bleu, un napperon qui n'est pas droit, elle regarde l'heure, s'assoit, prend un livre, le repose et allume la télé.

Elle ne la voit pas, elle ne l'entend pas, juste un bruit, une présence, un semblant de vie, un souffle d'ailleurs qui lui tient compagnie.

Elle est fatiguée, si fatiguée que ce serait bien de s'endormir, là, et ne plus se réveiller.

Mais voilà ça ne se passe pas comme ça, on n'éteint pas le bouton aussi facilement, on attend que la vie s'échappe d'elle-même et le souffle jusqu'au bout fait défiler dans la tête les images des jours heureux et d'autres, plus mélancoliques.

 

Souvent ce sont les enfants qui surgissent dans sa mémoire, enfants grandis, partis, loin, trop loin, puis son mari qui était un taiseux. Mais même un taiseux a besoin d'attentions, c'est une occupation, une obligation, ça évite l'enfermement. Mais là le taiseux c'est arrêté de vivre il y a déjà pas mal d'années. Elle revoit des repas, des mariages, des fêtes, son travail et puis son amant, oui son amant qui lui avait proposé il y a bien longtemps de tout quitter, partir, vivre, respirer autrement. Elle avait refusé, simplement refusé, sa vie était ici, même si, à l'époque, sa vie "d'ici" partait de travers.

Elle l'avait refusé par peur du vide.

Et aujourd'hui le vide est devenu gouffre.

 

Elle a aimé, puissamment aimé, tellement aimé cet amant, mais elle n'a jamais voulu renier le "oui" dit un jour de jeunesse dans une petite mairie d'un petit village à l'orée d'une vie qu'elle n'aurait jamais imaginé finir ainsi.

Elle aime les fleurs, elle aime lire, elle aime le vent du Sud, elle aime le soleil, la lumière, les amis. Enfin elle aimait parce qu'aujourd'hui elle combat sa solitude à coups de mots-croisés et de petits gâteaux secs.

Faire la cuisine pour elle-même est devenu difficile alors elle chipote et le pire se dit-elle c'est que malgré ses quatre-vingt dix ans passés elle a dans la tête des faims d'une gamine de vingt ans. C'est incongru, c'est presque anormal direz-vous, mais les gens ont toujours l'image de ce que renvoie le regard. Alors derrière sa petite tête joliment ridée, derrière ses yeux d'enfant, elle garde pour elle ses cavalcades effrénées qui surgissent dans son crâne et qui l'isolent un peu plus.

 

Une nouvelle fois le soir recouvre son jardin, une nouvelle fois la nuit arrive et, avec elle, les tourments d'un coucher solitaire dans des draps de grand-mère.

Une nouvelle fois elle va fermer ses volets, tirer les rideaux et faire de son radeau de survie une embarcation bien fragile dans une soirée sans étoiles.

Souvent pour traverser ces moments si difficiles elle met de la musique, toujours les mêmes morceaux qui l'ont bien souvent emportée, le Boléro, Beethoven et son Clair de Lune, Mozart le Requiem, d'autres encore comme Sibelius, Haydn ou encore Chopin. Elle pose sa tête sur le haut de son fauteuil, elle ferme les yeux et elle se revoit, avec lui, main dans la main, juste main dans la main à marcher tous les deux sur un petit sentier de terre.

Parfois elle s'endort et elle sourit.

Mais, quand elle se réveille là, au milieu de la nuit, elle est si désemparée qu'elle en pleurerait.

Sa carcasse se lève alors, se dirige vers son lit quand sa tête est ailleurs. Et quand elle passe devant la grande glace du couloir elle détourne le regard.

C'est affreux vous savez de voir un corps  ne suivant plus une imagination qui, elle, rebondit sans cesse.

C'est presque incompréhensible à ceux qui ne savent pas.

 

 

 



21/03/2019
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