203 - LA SEPTIEME PORTE...
La vie est une tour de Babel, on y trouve de tout, on y rencontre tout, nous côtoyons le pire comme le beau et chacune s'élève plus ou moins haut avec des formes particulières suivant que le "propriétaire" ait eu une existence linéaire ou, au contraire, une vie d'explorations.
Ces tours peuvent être ventrues ou maigres comme un stockfish, avoir des ouvertures étroites ou de grandes baies éclairées, aucune ne se ressemble, biscornues ou rectilignes, farfelues ou rigides, arborées ou désertes.
Mais toutes, toutes ont un point commun, une base solide et large et un sommet fragile, rétréci, comme si, devenues pointues et acérées, elles perceraient plus facilement les secrets de l'au-delà.
Châteaux de sable, utopies des vivants, rêves d'éternité...
J'ai monté les premiers étages sans vraiment m'en rendre compte, avalant les marches comme je le faisais avec les Malabars, les cocos Boer ou les réglisses Florent. J'avoue même en avoir sauté quelques une dans ma précipitation de vivre, fougueux et inconscient. Puis vint la maturité avec un rythme plus coordonné, un assouplissement du corps, des arrêts sur image, une plénitude passée inaperçue mais que j'ai usés et usés encore, persuadé que ce n'était pas un lumignon que j'avais dans les mains, ni même un grand et beau cierge mais une flamme soutenue et, pour tout dire vue de loin, comme un phare attirant les si belles mouettes perdues en mer. J'ai aimé ces moments là, aimé et brûlé, renaissant chaque matin pour mourir un peu plus le soir.
J'avais passé la cinquième porte.
Je sentais bien que mon cœur s'essoufflait mais que voulez-vous, d'amour de vie et d'aimer, j'ai adoré abuser. Je voyais par les larges fenêtres de ma curiosité tant de mondes à découvrir, tant de champs vierges, tant d'îles sous des vents contraires que je faisais tout pour en approcher. Et les soleils alors avaient des teintes de sang qui me régénéraient.
Quand j'ai ouvert la sixième porte la puissance de vie était si forte qu'il me fallait l'écrire. Mais l'écrire vraiment, la décrire quoi. Alors j'ai rassemblé mes papiers, j'ai récolté mes souvenirs, j'ai puisé dans mes rêves mais aussi dans ma réalité et j'ai commencé à coucher ces feux follets qui gambadaient sans cesse autour de moi. Chaque marche que je gravissais était du bonheur, chaque élévation une découverte, continuant ainsi et toujours ma recherche toute personnelle du temps perdu.
Et aujourd'hui me voilà.
Me voilà au seuil de la septième, pas celle de Beethoven que je connais par cœur et qui, ironiquement me fait un signe, mais la septième porte, celle de la décennie dangereuse, celle qui a vu partir en trois coups de cuillère à pot et mon grand-père et mon oncle et mon père dans un temps bien rapproché. Oui la septième sera houleuse.
Je le sais.
Les murs de ma tour se sont rapprochés, je sens bien que j'arrive à des hauteurs qui me surprennent car, enfin, comment le gamin que j'étais peut-il si vite se retrouver là ? Ai-je tout bien parcouru ? Ai-je tout bien vu, senti, ressenti ? En ai-je au fond pour mon compte moi qui suis parti dans l'aventure les poches pleines de billes ?
Si je lève les bras je vais presque toucher le ciel et le regard que je balance vers les horizons me montre des clochers de plus en plus clairsemés.
Et dans les rires et les fleurs et les livres et les yeux de cette journée de frontière, je ne pouvais que me dire encore et toujours ce que, jeune déjà je me susurrais à l'oreille, profite grand couillon, profite de l'air, de l'eau, de la lumière et des baisers, profite des yeux, du jour et de la nuit, profite, quitte à être Tartarin ou mieux encore Don Quichotte, tue le lion dans tes rêves, enfonce tous les moulins de la terre et soit plus que jamais ce que tu as toujours été , un couillon d'innocent pour que tes mains soient pleines du bonheur de vivre.
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