BLOG D'ANAÏS par Gérard CABANE

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49 - LE COMBLE DU BONHEUR

Cela m'est tombé dessus sans que j'y prenne garde.

 

J'avais été attiré depuis quelque temps déjà par un "pueg", un oppidum que je connaissais bien sûr, un village que j'avais traversé comme tout le monde et, comme tout le monde, je ne m'y étais pas m'arrêté.

Coupé en deux par une nationale maintenant "départementalisée" il avait même l'inconvénient, avant que la déviation ne se fasse, de provoquer pas mal de ralentissements au grand dam des automobilistes pressés. Puis, le contournement effectué, ce village tomba dans la torpeur avec l'abandon des "vivants" au profit des  vieux qui pouvaient maintenant traverser sans se faire écraser, ce qui du reste ralentissait sérieusement les coups de glas de la vieille église cathare.

Bon là, très honnêtement, je pense que j'exagère un peu et j'eus envie un jour de m'y poser un peu.

 

Imaginez un lacis de vieilles ruelles, imaginez l'histoire qui se déroule, là, sous vos yeux, devant ces maisons de pierres, sous des platanes patauds. Vous entendez le bruit des batailles ou des guerres de religions dans ce pays partagé, vous chuchotez avec Blanche de Castille, vous remontez aux Plantagenêts, vous fricotez avec Monfort et sentez dans votre dos, à chaque croisement de rues, des piques qui vous assaillent et des hallebardes qui vous poussent au bûcher.

Et puis, au détour d'une maison branlante, vous vous croyez sur le toit du monde avec d'un côté, la masse sombre de la Montagne Noire qui se déplie à quelques coups d'ailes de tourterelles amoureuses en servant d'avant garde aux Pyrénées qui s'enorgueillissent de leur superbe et de l'autre, dans la trouée d'une ruelle sombre, un appel de couleurs, une douceur qui vous accroche le cœur, un puits de lumières qui vous attire d'un clin d'œil comme l'invite d'une femme espérée.

 

Et c'est par là que je suis allé.

 

C'est là que je me suis retrouvé comme un con, la bouche ouverte, ahuri devant tant de calme, tant de beauté avec juste un banc posé là pour que j'y colle mes fesses avant de mourir du bonheur de vivre.

 

Devant moi le Lauragais et son pays de Cocagne.

 

Du vert, du blond, du bleu, du blanc, du sombre au jaune, du noir de quelques routes lointaines et tortueuses au rouge d'un Massey Fergusson crapahutant en silence dans le lointain d'une colline.

 

Et puis le silence, l'immense silence de la nature, je veux dire un maelström de pépiements, de frondaisons qui se frottent, d'aboiements usés de chiens de fermes massives, des roucoulements indiscrets, des piailleries de buissons éphémères, des voix qui se portent au ciel. Et le blé qui se couche sous l'Autan pas très sage, et l'eau que j'imagine paresseuse et qui se prend des méandres de Seine pour paraître grande, et les hennissements de chevaux, libres et joueurs, les bêlements chevrotants, les scies bourdonnantes des abeilles choisissant une fleur comme d'autres une épouse... Silence assourdissant de la nature avec, se découpant au loin, l'ironie moderne de quelques muettes éoliennes brassant l'air comme un naufragé imperturbable espérant des jours meilleurs. Tout un symbole qui me frappe et me laisse rêveur avec cette impression de puissance et d'inéluctable.

 

Je suis resté longtemps, très longtemps seul avec moi-même et elle, la nature, ma seule et unique maîtresse  ensorcelante.

Là, je respire ce que j'ai toujours aimé.

Là, non seulement je vis, mais avant tout je sais pourquoi je vis.

 

Là, je suis comme Giono dans sa Montagne de Lures et j'atteins moi aussi le comble du bonheur, ce bonheur si rare et si personnel qu'il vous donne les quatre chaleurs car vous savez que ce que vous vivez est plus fragile qu'un souffle de vie.

 



25/09/2015
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