BLOG D'ANAÏS par Gérard CABANE

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70 - DE LA MONTAGNE NOIRE AUX CONFINS DE L'AFRIQUE

C'est une petite ville de montagne, presqu'un gros bourg, une sorte de regroupement de maisons aux ardoises grises et aux ruelles étroites.

En hiver la neige et le froid engourdissent pendant de long mois toutes vies extérieures mais, pendant l'été, les habitants ressemblent à des marmottes et s'égayent au soleil brûlant.

J'aime cette ambiance et j'aime ces liens tissés entre les êtres qui vivent là, un peu hors du temps, entre le bistrot, le journal et les potins du jour, mâchonnant sous la dent quelques brins de tilleuls qui éclaboussent la place d'odeurs entêtantes tout en refaisant un monde qu'ils ne comprennent plus. On pourrait croire, en allant au café ou à la petite superette au nouveau label mondialiste que la vie s'écoule simplement entre les cèpes d'automne, les cheminées chargées pour l'hiver, les truites astucieuses de printemps ou les touristes dépoitraillés de l'été.

Mais j'ai été bluffé.

Vraiment bluffé.

 

Imaginez une petite librairie farcie de livres.

Et quand je dis "farcie" c'est pire qu'une dinde remplie de marrons pour une tablée d'ogresses.

C'est bien simple, il y en a partout et d'abord par terre pour finir au ciel. Cela déborde dans la rue, s'empile derrière la petite caisse, s'engouffre dans la réserve, s'équilibre en colonnes du temple quand ça ne finit  pas par s'écrouler au passage d'un client un peu trop dans les nuages. Et là, lumineuse, une femme belle avec sa chevelure de lionne.  Oui, je sais, je vous entends me dire qu'avec moi toutes les femmes sont belles ! Mais qu'y puis-je si, du commencement jusqu'à ma mort, je resterai ahuri devant l'exemple même du produit de  la finesse et de l'intelligence ! Qu'y puis-je si je tremble quand je tutoie ce que j'envie !

Elle sourit, elle conseille, elle argumente, elle a faim et donc elle m'invite en précisant que sa fille sera du repas dans le petit restaurant voisin.

 

Nous sommes là, tous les trois et nous nous découvrons devant des tranches de jambon cru qui n'est pas de Bayonne.

En fait, non, je les découvre et là, dans ce pays rude et austère je me retrouve à Lambaréné car  cette jeune fille, tout juste femme dans ses 17 ans de conquêtes et qui affiche sa volonté de suivre le serment d'Hippocrate après son bac S, est une organiste particulièrement douée. Aussi je reçus comme une offrande le fait d'aller l'écouter après le repas dans la petite église Notre-Dame dont elle avait la clé.

Nous somme seuls sa mère et moi avec elle juchée tout la haut, face au chœur et aux étoiles qui naissent dans sa tête.

L'orgue est magnifique de bois blond avec ses longs tuyaux qui semblent prier le ciel comme des vierges d'acier, et l'église, sombre de ses pierres noires, nous appartient toute entière.

Seules une lumière douce éclaire le clavier.

Et elle joue.

Elle joue.

Elle joue pour nous, isolés dans cette île de montagne.

Bach bien sûr, mais aussi Couperin, Haendel ou Pachelbel, et les fugues et toccatas se succèdent avant d'aller se planquer derrière le confessionnal en mal de confidences et autres patrenôtres.

 

Plus tard, bien plus tard, nous nous retrouvâmes à l'écouter au pied de l'autel pour mieux en apprécier le toucher. Je regardais cette femme, mère de ce petit génie au corps bien fragile. Elle s'était assise sur les premières marches. Ses yeux étaient lumineux et son corps immobile semblait éperdument communier avec elle, la gosse de ses entrailles.

Alors, sans comprendre, intuitivement, défilaient dans ma tête les génies de mon tout premier livre pendant que là-haut, perchée auprès de la voûte protectrice, une enfant filait vers son destin.

 



26/04/2016
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