71 - LETTRE POUR UNE AUTRE FOIS
Je voudrais que la mer se retire et suivre sur le sable humide la trace de tes pas jusqu'aux infinis des mondes.
Je voudrais que les soleils se voilent de jalousie, honteux d'avoir pu imaginer être ma seule lumière.
Et sous un chêne de ma montagne comtadine, dans des odeurs que je réinventerais pour toi, je coucherais sur la page des mots venus d'ailleurs, des mots de nulle part, des mots définitifs et qui n'engagent que moi parce que je te veux libre.
Je serais chevalier, troubadour mais aussi tenancier de taverne infâme pour que tu vives les vies de toutes ces femmes cosmiques qui se sont échouées dans les plaisirs d'amour aux braises toujours ardentes.
Je voudrais tant visualiser ces images qui me sont interdites et pouvoir contempler enfin les origines du monde, là où tout commence et là où tout finit et ainsi, pas à pas, suivre ta renaissance comme un peintre le ferait avec son génie.
Vivre et respirer sans aimer c'est mourir vivant.
Mais aimer c'est aussi se disloquer pour que l'autre, reprenant un à un les morceaux épars, reconstitue l'ensemble et en fasse un chef d'œuvre. C'est aussi s'offrir aux autels des sacrifices et être sanctifié pour finir immortel dans les cœurs importants. C'est encore balbutier, ânonner, bafouiller les mots de tous les jours avant de comprendre que seuls les yeux sont vrais et qu'ils ne mentent pas.
Et j'aime ces invitations dans les regards ainsi échangés, j'aime ces cavalcades des cœurs, ces glissades de l'âme et ces abandons de fières citadelles dont les pierres s'écroulant une à une laissent à merci le donjon et les pertuis secrets.
Oui j'aime ce moment où tout bascule, ce moment où le temps suspendu et un souffle contraire pourraient tout anéantir. J'aime ces instants du temps qui ralentit la vie, gravant à tout jamais ces secondes d'ivresse comme si, l'espace de l' instant devenait lui-même éternel.
Le bon plaisir de vivre, le si bon plaisir de vivre, le si doux plaisir de vivre...
Alors, quand je frémis aux lectures amoureuses, quand une page, un mot, une image m'emporte au-delà de mes frontières et me rend cannibale, quand je souris aux baisers des amants, quand j'entends le rire d'une femme accroché aux bras de l'homme aimé je me dis que la vie est bien belle et que j'ai raison de perdre la raison.
Que voulez-vous mes amis, j'ai si fortement ancré en moi cette sensation de fluidité, cette impression de rareté du temps imparti, cette formidable injustice de la mort qui attend son moment que je me débrouillerai toujours et jusqu'au bout à me jouer d'elle.
Au fond, nous sommes tous des guerriers n'est-ce pas ?
Pour moi, j'ai choisi mon arme, elle n'est que de taille et d'estoc, de plume et d'organdi, de délicatesse et de fureur, de tristesse et de joie.
D'amour si vous préférez.
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