BLOG D'ANAÏS par Gérard CABANE

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78 - LE PAPILLON

Il y a bien des années de cela, le romancier Bernard Clavel voulant illustrer à la télévision l'impossibilité d'emprisonner la liberté avait simplement bloqué une source avec sa main et, bien sûr, l'eau prisonnière avait jailli entre les doigts, plus fort, plus haut, plus vite.

Cette image est toujours restée en moi mais, bizarrement, je l'ai d'une autre manière associée à la fuite du temps, implacable métronome qui, quoi que nous fassions, quoi que nous voulions, nous entraine inéluctablement vers notre fin.

Tout môme déjà j'avais cette perception de notre fragilité, cette irrémédiable connerie de naître pour mourir et, si je n'ai jamais eu peur de la mort puisque c'est au fond l'hypothèse de départ, j'ai toujours cherché à me farcir la tête pour que, le moment venu, je puisse partir repu.

Ainsi, étant nés tels des papillons, il ne tient qu'à nous de butiner les plus belles fleurs que nous serions amenés à connaître afin de remplir notre escarcelle de souvenirs plutôt que de regrets. Par "fleur" - mais dois-je le préciser - je n'entends pas seulement les "rencontres" au sens premier du terme mais bel et bien ces espaces immenses de la culture, des arts, de la connaissance, curieux de tout et affamé des autres.

Mais enfin me direz-vous, à quoi bon cette fringale ? Dans quel but se complaire à apprendre et à découvrir la reproduction des grenouilles ou démonter la machine de Vinci quand au bout du bout de notre bout nous serons poussière ?

Mais par orgueil, juste par orgueil.

Et puis peut-être aussi par humilité, sans que la seconde soit contraire du premier.

L'orgueil de se battre, de comprendre, l'orgueil de la finesse devant cette absolue incongruité de notre fin, de l'élégance car à mourir, autant que cela soit en beauté et les yeux ouverts, de l'amour en découvrant une épaule, de la vie tout simplement parce que la vie ce sont des couleurs au contraire du sombre des nuits d'avenir, l'orgueil de respirer à se faire péter les poumons avant que ces derniers ne retombent comme un soufflet de forge en manque d'air, l'orgueil du regard, ironie douce mais aussi acerbe sur le comportement de ceux qui, lions, rugissent avant de perdre leurs dents, l'orgueil enfin des pauvres car, devenus usufruitiers de la vie, ils s'ébahissent de tant de bonheurs de riches.

Et puis par humilité car, au fond, en naissant nous allons côtoyer du monde, un parmi d'autres, nous allons puiser la connaissance acquise, les œuvres empilées, les conquêtes anciennes et nous attabler pour des agapes concoctées par des génies autrement plus curieux et créatifs. En somme nous serons invités, juste invités, à partager un bout de chemin que des millions d'êtres ont parcouru avant nous.

Alors quand je vois des hésitations, des peurs, des doutes ou des irrésolutions, quand je sens des flottements, des réticences ou des timidités à aller de l'avant j'ai envie de bousculer et de dire vivez, vivez aux extrêmes et pas au centre du cercle, bien au chaud, bien tranquille, allez chercher le rare, l'inconnu.

A butiner tel un papillon cherchez les plus belles fleurs, les parfums les meilleurs, élevez, élevez vos ambitions, n'ayez pas peur de côtoyer l'improbable car c'est là que se trouve le génie le plus pur et les images les plus fortes.

Que voulez-vous à s'habituer à vivre on abîme ses rêves et je crois qu'il n'y a pire regret qu'un rêve brisé.

Vivre ?

C'est une drogue et c'est donc se mettre en danger.

 

 



08/06/2016
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