BLOG D'ANAÏS par Gérard CABANE

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84 - LE PAYS DE COCAGNE

Je suis revenu au pays de Cocagne, le vrai pays de Cocagne, le seul, prenant son nom de cette coque - ou coquaigne en occitan - issue du Pastel et cultivée dans sa terre du Lauragais.

Ironie de la chose le pastel est une plante à fleur jaune dont la fameuse coque, et en simplifiant l'explication bien sûr, est envoyée au moulin pour donner cette couleur bleue incomparable.

Le Pastel fit la richesse des teinturiers et autres marchands de tissus au XVème et XVIème siècle, alimentant les grandes foires du nord de l'Europe actuelle et à travers eux la richesse et la beauté de Toulouse et de sa région. Nombres d'hôtels et de demeures parsemant la ville furent crées à cette époque-là, le plus célèbre d'entre eux, l'hôtel d'Assézat en étant le plus pur exemple.

Evidemment ce terme de "pays de Cocagne" fit le tour du monde aussi bien chez Brueghel l'ancien que dans le Carmina Burana et si vous en doutiez il suffit de parcourir ce joyau qu'est la cathédrale d'Albi pour comprendre toute la beauté de ce bleu si intense.

Mais je ne veux pas vous abreuver de constructions intellectuelles même si, me semble-t'il, remettre les choses à leur place me paraissait nécessaire, non je veux rester dans le sublime, l'impression, le ressenti enfin quoi vous faire partager les frissons qui à chaque tour de roues et détours de chemins me submergèrent d'émotion quand le vieil éléphant que je suis eut la sensation très intense d'être revenu faire définitivement blanchir ses défenses qui ne sont plus d'ivoire.

 

Le Lauragais c'est un moutonnement de collines, des beaux seins de femmes mûres à perte de vue avec dans chaque village ces églises cathares aux frontons droits et fortifiés, percés de clochetons où les ramiers gloussent avec l'accent d'ici. Ce sont des fermes planquées à flanc de coteaux, massives et rouges de pierres, abritées de l'Autan comme des vieilles dames dans leurs jupes épaisses, ce sont des champs de couleurs, le jaune bien sûr mais aussi le blond des blés riches, le vert des maïs épais, l'or des tournesols émoustillant le soleil qui darde et assène des rayons de lumière crue, le bleu des chardons qui se plantent dans des cultures rectilignes comme des clowns ou des fous qui amusent le roi. Un bois ici, un fourré là, plus loin un taillis, un moulin éboulé et au bout, tout au sud mais aussi si près, la muraille des Pyrénées comme une cerise sur mon mille-feuilles d'odeurs, de senteurs et d'air magique. 

Et pour que tout soit bien protégé, pour que tout soit à l'unisson, la Montagne noire au nord ferme cet enclos, ce triangle des cuisses de ma terre, avec Toulouse d'un côté, Revel d'un autre et Carcassonne au bout que l'on accepte parmi nous parce que, justement, elle parle comme nous.

 

J'ai trouvé en son centre ma demeure, au bord du canal du midi à l'ombre d'un tilleul bien plus vieux que les vieux du siècle d'avant, une grande et haute maison blanche qui se mourait de sa beauté passée, vieille demoiselle rêvant d'être enfin épousée.

Je suis sur la petite place qui lui fait face, je viens de retirer le panneau "à vendre" et ne riez pas, j'ai senti comme un soupir ou un gloussement de plaisir  quand j'ai refermé le  portail grinçant.

Les maisons sont comme les femmes n'est-ce pas, il convient de les aimer pour les faire sourire.

Puis, adossé à un platane qui me fait une ombre de seigneur, je regarde tout en haut les fenêtres qui abriteront mes divagations romanesques et ce livre qui est en moi depuis toujours, histoire que je porte et qui naitra ici, parce qu'ici c'est le pays de Cocagne et que tout pousse, tout grandit, tout éclate y compris le rêve qui devient réalité.

Un volet est resté entrouvert et j'ai vraiment l'impression que cette maison me fait un clin d'œil, une signe de connivence, une reconnaissance, vous savez un truc à la Montaigne,  parce que c'était elle, parce que c'était moi....

Alors, je lui ai fait un au revoir, un geste de la main, oh quelque chose de discret qu'elle seule pouvait comprendre, comme un appel d'amour entre amants cachés puis, remontant la rue qui conduit au centre de la ville tout proche, j'ai pris un café tout en recommençant à écouter les bruits du monde qui n'avait cessé de s'agiter.



30/07/2016
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