BLOG D'ANAÏS par Gérard CABANE

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98 - LES NOËLS PERDUS

Ils étaient là, main dans la main et les gosses devant.

Ils écoutaient les boniments des vendeurs de gaufres préfabriquées , de chocolats d'usines où les enfants triment, d'ours de Taïwan, de cubes de Hong-Kong ou encore de pierres dites rares et cassées en Chine, en Afrique ou tout simplement dans un garage du coin. Ils avaient amené leurs gosses au marché de Noël  et  la place du Capitole de Toulouse ressemblait à la sortie d'un Temple de la Bible des origines.

Dans l'air, des "Petit Papa Noël" se taillaient la plus grande part du succès malgré les comptines que l'on entendait ici ou là, à coups de cloches, de pipeaux et de tambourins enregistrés.

Des odeurs de sucres, de miels, de vanilles combattaient celles plus incongrues, de saucissons, de paëllas ou de fritures graisseuses.

Les enfants avaient les yeux qui leur mangeaient la tête. Le père aussi avec sa tignasse de premier communiant.

Elle, elle semblait ailleurs dans ce désordre de la foule qui avait fait la trêve avant de se taper sur la figure, plus tard, quand la vie reprendra.

Mais on approchait de Noël, alors on souriait et on faisait semblant d'aimer son prochain.

Loin, bien loin, tellement loin des fureurs habituelles.

Je regardais tout cela d'un œil curieux car j'avais dans la tête d'autres souvenirs, d'autres vérités moins commerciales mais autrement plus profondes et plus vraies parce que plus "terriennes", je devrais dire plus ancrées dans mon histoire.

Pour moi, quand arrivaient les mandarines, c'est que Noël n'était pas loin.

Alors, on faisait des mystères, il y avait des conciliabules que je tentais d'écouter derrière des portes closes, des chuchotements et des bruits de papiers. Dans les petits commerces de ma ville, c'étaient des colonnes instables d'oranges, de figues séchées, de morues dessalées, des avalanches de choux, de crème, de tartes blondes, de brandades odorantes, de têtes de cochons exposées le persil dans les narines, des odeurs de café, de berlingots, de calissons, de guimauve mais aussi et surtout c'était ces petits cadeaux que l'on se faisait entre voisins, juste entre voisins, pour les remercier justement d'être nos voisins.

Chez moi, on n'avait pas trop d'argent, même si on  n'avait pas à se plaindre.

On préparait le repas maigre de la veille avec ses treize desserts et les trois nappes blanches. Le lendemain on irait chez mes grands-parents pour le "gros souper" en amenant les restes de la veille. Là, je retrouvais mon monde, monde immense du gamin de cinq, six ou dix ans que j'étais et je baignais dans le bonheur, assis comme un roi au milieu de mes vieilles branches qui trônaient sur une tablée dont il avait fallu repousser les murs pour qu'elle soit plus à l'aise.

J'étais le plus jeune et ne savais pas que cela passerait.

Aujourd'hui, je suis le plus vieux car la mort a ravagé ma famille, je suis le plus vieux avec des regards de petites filles qui ont mes yeux quand j'avais leur âge.

On me garde la bonne place, le bon morceau, les plus belles bises, on fait attention quoi, comme si l'âge était synonyme de respectabilité et de savoir.

Alors je souris, je me prête au jeu, je suis heureux et m'amuse comme un gosse à jouer le patriarche.

Comme un gosse n'est-ce pas, comme un gosse...

Que voulez-vous, le regard que je me porte est toujours assassin et c'est fou comme, enfant, je voyais mes "vieux" si vieux.

 

Les temps changent à une vitesse folle et c'est, sinon une bonne chose, pour le moins normal. Les petits commerces sont morts devant l'invasion des plateformes transformées pour quelques jours en marchés éphémères. Les "grands" de mon enfance aussi ont été forcés de tirer leurs révérences, les voisins ne sont plus des amis qui avaient toujours un peu de sucre ou de sel en réserve, mais des anonymes avec qui on évite de se foutre sur la gueule et "Petit Papa Noël" sirote toujours sa romance comme si, dans un naufrage, c'était le dernier rocher.

 

 



03/12/2016
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